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et tout ce qui reste de moi dans la ville que j’ai perdue... Devant mes regards sont errantes ma maison, Rome, la forme des lieux. »

Ante oculos errant domus, urbs et forma locorum.


Ovide regrette passionnément Rome; il invite sa femme à ne pas le pleurer à l’heure de sa mort, car il est mort le jour où il a quitté sa patrie.

Ainsi malade de l’exil, sa consolation et son tourment étaient de se transporter en esprit à Rome et d’y suivre par la pensée les différentes phases de la journée romaine, de parcourir cette ville bien-aimée, d’en ranimer devant lai l’image, d’en contempler les merveilles. « Voici, dit-il, que les débats du Forum sont terminés; les jeux vont commencer dans le Champ-de-Mars : on lance la balle, on roule le cerceau; puis les trois théâtres s’ouvrent à la multitude, qui remplit les trois forums. » Tantôt Ovide visite en idée sa demeure, depuis si longtemps abandonnée; tantôt, s’élançant à travers les principaux monumens de Rome, il les voit et les montre de loin, comme s’il était réellement au milieu d’eux. « De ma maison je me dirige vers chaque endroit de la belle ville, je vois, je perce tout par les yeux de la pensée, les forums, les temples, les théâtres tapissés de marbre; puis m’apparaît le portique immense s’étendant sur le sol aplani, les gazons du Champ-de-Mars, les beaux jardins qui le dominent, le lac d’Agrippa, les Euripes, l’eau vierge. »

Stagnaque et Euripi virgineusque liquor.


Dans cette énumération, Ovide a eu soin de faire entrer les nouveaux embellissemens de Rome : inutile effort pour désarmer l’inflexible cruauté d’Auguste. Parmi toutes ses réminiscences, on sent l’élan de son âme vers la ville absente. C’est Rome apparaissant à l’exilé avec la vivacité douloureuse du regret.

Il est temps de passer à Tibère. Tibère après Auguste; après le despotisme doux que l’on accepte, le despotisme cruel que l’on subit, c’est la marche naturelle des choses et la justice de Dieu.

Il faut distinguer, entre les monumens auxquels le nom de Tibère est attaché, ceux qui datent de son règne ou du règne d’Auguste. Auguste lui avait permis de dédier plusieurs temples. Il voulait par là, pour complaire à Livie, désigner son fils comme héritier de l’empire. Suétone cite le temple de Castor et Pollux et le temple de la Concorde, Tacite parle du temple de la Fortuna fortis; il semble que ce n’était pas la Fortune du courage, mais la Fortune de la ruse que Tibère aurait dû remercier. Que sont les trois belles colonnes qu’on admire à l’angle du Forum? Nulle question n’a été plus controversée en ce qui concerne les antiquités de Rome. Peut-être faut-il y voir un reste du temple de Castor et Pollux, qui était certaine-