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roule sous l’empire d’une loi invariable. Ces portraits, publiés d’abord en partie dans ce recueil, furent réimprimés pour la première fois, il y a quelques années, à un moment où on ne savait trop ce que deviendrait la France, gaspillée par les révolutions ; ils n’ont pas moins d’à-propos aujourd’hui encore sous une forme nouvelle et plus complète. Voici en effet, au centre de l’Europe, un peuple de trente-cinq millions d’hommes répandu des Alpes et de la Méditerranée à l’Océan, des Pyrénées au Rhin. Son existence, comme celle d’autres empires, ne repose pas sur l’oppression des races et des nationalités, sur la juxtaposition de mœurs, de lois, de langues différentes, ou sur des privilèges de classes et des inégalités sociales. En France, toutes les diversités se sont fondues dans une vigoureuse unité, et il n’est plus resté qu’un état où tous les hommes, n’ayant d’autres privilèges que leur intelligence et leur mérite, obéissent aux mêmes lois, parlent la même langue, vivent du même souffle et se lèvent au même appel. Ce n’est point une agglomération de provinces ; c’est une nation compacte, la plus nombreuse qui ait existé, et la plus puissante pour le bien comme pour le mal. Comment s’est formée cette unité ? C’est le travail de huit siècles. Si l’on cherche les élémens principaux de ce travail, il faut compter l’action de la monarchie, l’influence de l’église, les habitudes persistantes de la discipline romaine, l’instinct ardent et précoce de l’égalité civile, et si on cherche ceux qui ont poursuivi de siècle en siècle cette œuvre puissante, ce sont justement ces hommes dont M. de Carné retrace le portrait et raconte la vie : Suger, saint Louis, Louis XI, Duguesclin, Jeanne d’Arc, Henri IV, Richelieu, Mazarin, l’un faisant plier les grands barons sous la justice civile, l’autre rendant à la France les provinces dispersées par les apanages princiers, celui-ci abattant les dernières têtes féodales, tous défendant l’intégrité du territoire. Ainsi s’accomplit cette œuvre de l’unité française. Un seul doute vient à l’esprit en parcourant cette merveilleuse carrière : on craint que l’œuvre n’ait trop réussi, et que l’unité, en fin de compte, ne tourne à l’uniformité et au nivellement.


CH. DE MAZADE.




VIE DE F. JAHN.
Fr. L. Jahn’s Leben. Nebst Mittheilungen aus seinem literarischen Nachlasse, von Dr  Heinrich Proehle, Berlin.

Chaque pays a ses esprits malades, comme chaque nature de terrain a ses mauvaises herbes. Durant les guerres de délivrance de 1813 à 1815, et longtemps encore après la chute de Napoléon, l’Allemagne jouissait d’un type de chauvinisme à la fois farouche et burlesque dans la personne de M. Frédéric-Ludwig Jahn. Cet homme est à peu près inconnu en France, et cependant c’est lui qui a surpassé en imprécations contre la grandeur nationale de ce pays tous les gallophobes réunis de l’Allemagne et de la Grande-Bretagne. Le vieux père Jahn, appelé communément le Turnvater (père de la gymnastique), présentait une des physionomies les plus grotesques, les plus fantastiques de la Germanie contemporaine, un type curieux à étudier, surtout dans ce siècle d’ennui et d’esprit mercantile où toute originalité s’en va, même l’originalité du ridicule.