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accord de septième diminuée fort heureusement placé. Ce sont là des délicatesses dont il faut savoir d’autant plus gré à M. Verdi, qu’il ne les prodigue pas. La fin de ce duo est commune, et nous n’avons plus à signaler que le petit quatuor qui termine l’ouvrage.

Nous croyons avoir scrupuleusement relevé tous les morceaux un peu saillans qui recommandent la partition que nous venons d’analyser : le brindisi et l’introduction du premier acte, quelques passages du duo entre Violetta et son amant, l’air de ténor qui ouvre le second acte, l’air de baryton que chante le père d’Alfredo, son duo avec Violetta, le cantabile qui suit, et certaines parties du finale du second acte, enfin le duo pour soprano et ténor du troisième, acte. Ce qui manque à la Traviata, qui a été représentée pour la première fois, à Venise le 6 mars 1853, c’est ce qui manque à toutes les œuvres de M. Verdi, la distinction, l’élégance et la variété. Ces trois actes de la Traviata sont d’une monotonie de couleurs et d’une aridité de formes qui ont étonné le public lui-même, et Dieu sait si le public qui fréquente le Théâtre-Italien est difficile dans les objets de son admiration ! Au moindre point d’orgue, au moindre portamento que fait une voix bien timbrée comme celle de M. Graziani, il éclate en applaudissemens frénétiques. Nous ne faisons pas à M. Verdi d’opposition systématique. Admirateur sincère de tout ce qui est véritablement beau, nous sommes de l’école du bon Dieu, qui a créé le ciel et la terre et qui a suscité tant de génies divers en Italie, en Allemagne, en France, en Espagne comme en Angleterre. Nous avons toujours reconnu à M. Verdi certaines qualités dont la première de toutes est la passion ; mais la passion sans l’art qui la féconde, sans le style qui en relève les accens et en tempère la manifestation, ne produit que des déclamateurs. Ne craignons pas de nous répéter, M. Verdi est un musicien de décadence. Il en a tous les défauts, la violence du style, le décousu des idées, la crudité des couleurs, l’impropriété du langage avec d’énormes prétentions à l’effet. Ses formules d’accompagnement, d’une pauvreté extrême, sont un véritable supplice pour les oreilles délicates qui veulent être séduites par la muse, et non pas violentées, prises d’assaut comme la tour Malakof.

La foule qui emplissait la salle du Théâtre-Italien, à la première représentation de la Traviata, offrait un spectacle plus curieux que celui qui se passait sur la scène. On peut dire que les quatre parties du monde y avaient des représentans, surtout le demi-monde parisien, pour qui c’était une véritable fête de famille. Ce sont pourtant les Anglais et les Italiens, leurs alliés d’un moment, qui dominaient dans l’assemblée. Ils s’étaient emparés des postes les plus importans de la place, ne laissant aux autres nations que des coins obscurs. C’est qu’il s’agissait d’une grosse affaire de politique commerciale dont Mlle Piccolomini était l’enjeu. Mlle Piccolomini, dont le nom historique indique déjà les proportions mignonnes de sa personne, est née à Sienne, — Sienna la fece, — il y a tout au plus une vingtaine d’années. Élevée modestement par une famille honorable, qui compte dans ses annales un pape illustre et un cardinal vivant, Mlle Piccolomini a été visitée dans sa retraite par le démon de la fantaisie, qui l’a enlevée un beau jour à ses lares domestiques, con permesso dei superiori, c’est-à-dire avec le consentement des autorités compétentes. Après avoir obtenu quelques encouragemens