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qui n’a rien de bien original. Sous un trémolo, que les violons armés des sordini font jaillir dans la partie la plus élevée de leur échelle, on entend une petite phrase écourtée de six mesures qui reviendra au troisième acte comme l’expression du sentiment qui finit par tuer Violetta. Ce procédé bien connu, que M. Verdi a déjà employé dans les Vêpres siciliennes, est emprunté à Meyerbeer. Dans le chœur de l’introduction qu’on chante au souper de Violetta se dégage bientôt l’inévitable brindisi, le toast au plaisir, à la vie facile qui, entonné d’abord par Alfredo, le nouveau convive, est repris ensuite par Violetta avec un entrain de bonne humeur qui ne messied pas dans la jolie bouche de Mlle Piccolomini :

Trà voi saprò dividere
Il tempo mio giocondo,
Tutto è follia nel mondo
Ciò che non è piacer.


Ce morceau, dont chaque couplet est répercuté par le chœur, est agréable et très bien approprié à la situation. Le duo entre Alfredo et Violetta, cet a parte où les deux amans se font de mutuels aveux de sympathie, n’a rien de remarquable, si ce n’est quelques mesures de la fin qui se trouvent sous ces paroles que chante Alfredo, pendant que Violetta l’accompagne par des triolets agaçans :

Oh ! amore misterioso…

L’air qui termine le premier acte, où Violetta, saisie au cœur par le sentiment sérieux qui doit purifier sa vie, hésite pourtant encore entre le plaisir et le véritable amour, cet air est à peu près manqué, et nous ne pouvons y signaler que le passage déjà cité du duo précédent qu’Alfredo chante dans le lointain sans être vu de la femme qui le lui inspire.

Le second acte, dont la scène se passe dans les environs de Paris, s’ouvre par un air de ténor, dont l’andante en mi bémol est la meilleure partie. M. Mario, qui est chargé du rôle d’Alfredo, le chante avec goût, et y trouve parfois des accens de vigueur dont on ne le croyait plus capable. L’allégro de ce même air est de ce style tourmenté et haché si familier à l’auteur de Nabucco, la meilleure partition de M. Verdi. Survient immédiatement après, dans le ménage clandestin des deux amans aux abois, le père d’Alfredo, qui exprime à Violetta sa douleur bien légitime dans un cantabile en la bémol, qu’on a bien souvent entendu quand on connaît les ouvrages de M. Verdi. M. Graziani, avec sa voix chaude et cuivrée, tire un bon parti de ces quelques mesures de lieux communs mélodiques, accompagnés toujours de la même guitare en accords plaqués. Le duo qui vient après, pour basse et soprano, entre Violetta et le père de son amant, produit de l’effet, quoiqu’il ne soit pas mieux écrit que tout ce que nous ayons cité. Le mouvement à six-huit qui précède l’allégro de la conclusion est fort bien, et M. Graziani chante la partie qui lui est confiée avec beaucoup de sentiment. Il chante également avec goût l’air qui vient après :

Di Provenza il mar, il sol,
Chi dal cor ti cancellò ?