sera-ce de la poésie dramatique et de la musique qui l’accompagne et l’illumine ? Je sais bien que le style peut transfigurer les choses les plus basses auxquelles il touche, et qu’il n’est point
- … De serpent ni de monstre odieux
- Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux.
Mais si des peintres comme Rembrandt ou comme Murillo peuvent éclairer de leur pinceau l’intérieur de l’abri d’un pauvre ménage, ou réchauffer d’un splendide rayon de soleil un enfant accroupi sous les haillons de la misère, ce sont là des miracles d’un art qui reste dans son domaine, la couleur, et dont les sujets ne conviendraient déjà plus à la statuaire, qui veut, avant tout, de belles formes. Eh bien ! ce sont aussi de belles formes que la musique a mission de produire ; c’est une plastique de l’oreille, qu’on nous passe l’expression, tandis que la statuaire est une plastique de la vue. Il est aussi contestable que toute vérité soit bonne à dire dans l’ordre moral qu’il est absurde d’imposer à la statuaire ou à la musique la reproduction d’une réalité qui manquerait des conditions voulues pour plaire à l’organe qui doit l’apprécier. Ces réflexions ne sont pas hors de propos, lorsqu’on voit les compositeurs modernes se traîner à la remorque des plus tristes conceptions dramatiques, et ne demander à la fable qu’ils veulent réchauffer de leurs accords que des tableaux raccourcis des passions les plus violentes pour avoir occasion de gaspiller toutes les ressources de la sonorité. Qui aurait dit que la terre bénie qui a donné le jour à Pergolèse, à Jomelli, à Piccini, à Sacchini, au doux Cimarosa, à Paisiello, à l’incomparable génie qui a créé le Barbier de Séville et Guillaume Tell, qui aurait dit que le pays de la lumière, de la mélodie sereine et de l’idéal en serait venu à s’enthousiasmer pour des mélodrames ridicules, à faire chanter des poitrinaires, et à exalter, dans son aveugle admiration, un compositeur sans grâce, sans élégance, sans génie véritablement musical ? On répète chaque jour que l’Italie est malade ; sa chute est plus profonde encore qu’elle ne le croit, et nous n’en voudrions d’autre preuve que le succès prodigieux qu’obtiennent au-delà des monts des œuvres comme la Traviata !
Divisé en trois actes, le libretto de M. Piave reproduit les trois principales situations de la Dame aux Camélias : le souper chez Violetta, où elle fait connaissance avec Alfredo Germont, leur amour et la rupture qui s’en suit à l’arrivée du père d’Alfredo, puis le bal qui a lieu chez Flora Bervoix, où se passe la scène du portefeuille, qui termine le second acte ; enfin la mort de l’héroïne, dont l’agonie se prolonge pendant tout le troisième acte. Ces tableaux, rattachés l’un à l’autre par de maigres récitatifs qui n’expliquent pas suffisamment la marche de la fable, n’offrent pas même le genre d’intérêt qui se trouve dans la pièce de M. Dumas fils. On passe, comme on dit vulgairement, de fièvre en chaud mal sans la moindre transition : c’est que les transitions ne sont pas le fort de M. Verdi, qui ne trouve certains accens passionnés qui lui sont propres que lorsqu’il est saisi par une situation contrastée.
Il n’y a pas d’ouverture à la Traviata, mais une simple introduction symphonique