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depuis trois ans qu’il débite la même phrase et avec la même inflexion. C’est un orecchiante que M. Graziani, sans style, sans élévation et sans désir de mieux faire. Si Mme Steffenoni était venue à Paris dix ans plus tôt et si sa voix de soprano ternie eût été soumise à une meilleure école, ce serait, après la Malibran et à côté de Mme Frezzolini, une des meilleures cantatrices dramatiques qu’on pût entendre ; mais le destin et les mélodrames de M. Verdi en ont décidé autrement.

Nous ignorons à quelle intention la direction du Théâtre-Italien a cru devoir reprendre un des ouvrages les plus ennuyeux du répertoire de M. Verdi, i Due Foscari. Est-ce pour servir aux débuts d’un nouveau ténor, M. Balestra-Galli ? On pouvait lui trouver un thème plus agréable pour déployer sa voix étranglée, qui tient moins du ténor que du baryton élevé. M. Balestra-Galli ne manque pourtant ni de sentiment ni de distinction personnelle, et le public l’a accueilli avec bienveillance. M. Corsi a chanté et surtout joué le rôle du vieux doge avec talent et beaucoup de noblesse.

Mais parlons un peu de musique, c’est-à-dire de la reprise de la Gazza ladra, avec Mme Alboni dans le rôle de Ninetta, qui seule était à peu près à la hauteur du chef d’œuvre qu’elle interprétait, car ni M. Corsi dans le rôle de Fernando, ni M. Zucchini, chargé de celui du podesta, n’ont la voix de basse assez franche, ni le style qui conviendraient. Le chef d’orchestre lui-même n’y entend rien, il précipite tous les mouvemens comme s’il s’agissait d’une stretta perpétuelle. Il met en poussière ces mélodies limpides et ces rhythmes à la structure délicate, dont il déforme les savantes ondulations. Mme Alboni, qui ne possède pas la voix de soprano sfogato nécessaire pour bien chanter le rôle de Ninetta, a dit avec charme la cavatine du premier acte, di placer mi balza il cor, et, dans le beau quintette du tribunal, elle s’est presque élevée à la passion dramatique. Elle a été assez bien secondée, dans le duo de la prison, par Mme Valli, une Française italianisée, dont la voix de contralto, un peu gutturale, n’est point à dédaigner, non plus que le sentiment dont elle la pénètre.

Une des bonnes soirées auxquelles nous ayons assisté cette année au Théâtre-Italien, c’est la reprise du Barbier avec M. Mario. M. Mario, qui, jeune, n’était que l’ombre de Rubini, n’est plus aujourd’hui que l’ombre de lui-même, et il est encore ce que nous avons de mieux, tant la loi du progrès continu dans les arts est évidente ! M. Mario, qui sait fort bien ce qu’il vaut dans les circonstances où nous sommes, chante les mains dans ses poches et entre ses dents la moite de la cavatine : Ecco ridente il cielo, la moitié du duo avec Figaro, la moitié du duo avec Bartolo au second acte. Il a l’air de dire au public : Vous êtes encore trop heureux de m’entendre ainsi ! Il a pardieu bien raison. Cependant il est bon de n’abuser de rien, pas même d’un mérite relatif, et M. Mario n’en serait que plus applaudi par ses dévotes, s’il se montrait un peu plus généreux. M. Bottesini, le chef d’orchestre, a conduit le Barbier comme la Gazza ladra, à fond de train, avec une furia et une trépidation de mouvement qui ne permettent plus de rien comprendre à cette musique, enivrante et spumante comme un élixir de longue vie. Le rôle de Figaro, confié à M. Corsi, a été rendu avec lourdeur, et ils ont gâté, à peu de chose près, le finale du premier acte par les contre-sens