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quelques-uns sont encore presque intacts, foulant les dalles de lave sur lesquelles sa litière a passé, montant sur les trottoirs qui subsistent, nous retournant sans cesse pour contempler cette double file de ruines qui se prolonge en avant et en arrière, à perte de vue, à travers la campagne immense, inhabitée, silencieuse, traversée par d’autres ruines et terminée par ce mur bleuâtre de montagnes, l’horizon le plus suave et le plus fier qu’il puisse être donné à des yeux humains de contempler.

Nous arrivons ainsi avec Horace à l’Ariccia. Là nous disons comme lui:

Egressum magnâ me excepit Aricia Româ,


enchantés de ces délicieux aspects dont Horace, moins occupé que nous ne le sommes du pittoresque, n’a point parlé. La ville moderne de l’Ariccia s’est perchée, comme il arrive souvent, dans la citadelle de la ville ancienne. De celle-ci il ne subsiste que les débris du temple de Diane et quelques autres dans lesquels M. Pierre Rosa, cet explorateur infatigable et sagace de la campagne romaine, et qui excelle à découvrir les ruines que son aïeul Salvator Rosa aimait à peindre, a cru retrouver les restes de la petite auberge[1] où Horace a logé (hospitio modico), et même des vases contenant l’orge destinée aux montures des voyageurs. Arrivés à l’entrée des Marais-Pontins, nous ne pouvons pas faire comme Horace, qui s’embarqua le soir sur un canal pour les traverser; ce canal n’existe plus. Les Marais-Pontins ne sont plus des marais, mais des prairies à demi noyées où croît une végétation luxuriante, où l’on voit les bergers à cheval pousser de leurs longues lances les bœufs enfoncés jusqu’au poitrail dans les grandes herbes. On roule rapidement sur une bonne route qui a remplacé la route antique, souvent envahie par les eaux au temps de Lucain :

Et quâ Pomptinas via dividit uda paludes.


Horace préféra le canal à la route de terre, peut-être parce que le chemin était dégradé momentanément. Cette conjecture de M. Desjardins me paraît plausible. « Horace, dit-il, s’embarque le soir sans avoir soupé, se condamnant à ne point dormir pour faire un trajet de cinq lieues auquel il fallut consacrer toute la nuit et une partie de la matinée du lendemain, en suivant le canal. En admettant comme vraisemblable qu’un épicurien, qui plaçait au nombre des malheurs tout ce qui devait lui imposer quelque gêne, choisît sans motif ce mode fatigant de transport, il est peu probable que les gens d’affaires, les personnes pressées d’arriver, se soumissent par fantaisie aux ennuis d’un pareil trajet. »

  1. Voyez M. Ernest Desjardins, Voyage d’Horace à Brindes, p. 13.