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que ceux dont retentissent les tribunes européennes, sont bien capables sans doute de pénétrer les mystères de la religion et de distinguer les symboles des idées qu’ils représentent.

Les Anglais vantent beaucoup l’intelligence des naturels des îles Sandwich ; ils ne tarissent pas en éloges sur ce peuple, qui a su se former un gouvernement libre, assurer son indépendance et établir des relations régulières avec les grands états des deux mondes. Il y a sans doute beaucoup à rabattre de ces louanges excessives : ce qu’on ne saurait nier néanmoins, c’est qu’en effet, les Hawaïens sont doués d’une assez remarquable aptitude à la civilisation ; mais leur intelligence mériterait plutôt le nom de docilité, qualité qui trompe souvent l’œil d’un observateur exercé, et qui chez les êtres naïfs et simples, les enfans par exemple, se confond parfois avec l’intelligence. Ils apprennent vite ce qu’on leur enseigne, et ils apprennent plus vite encore à rougir de leurs anciennes habitudes sauvages. M. Hill cite quelques traits qui font le plus grand honneur à la conscience morale de ce peuple, mais qui sont en même temps de tristes symptômes pour son avenir. Ainsi dans une visite à la baie de Karakakooa, lieu où périt Cook sous les attaques des indigènes, le voyageur, lorsqu’il s’enquit auprès des habitans voisins de la baie de l’endroit précis où s’était accompli le meurtre, trouva tous ces pauvres gens frappés de terreur ; le visage empreint de tristesse, ils baissaient la tête de honte et n’osaient répondre. Ils demandèrent aux voyageurs quel était le meilleur moyen d’expier le crime dont leurs pères avaient été coupables, exprimèrent le plus profond repentir d’un acte qu’ils n’avaient point commis, et aussitôt qu’il leur fut répondu que la meilleure preuve de repentir était d’écouter docilement les instructions des missionnaires, la joie reparut sur tous les visages. Les vieillards qui ont connu d’autres mœurs et d’autres habitudes que celles aujourd’hui existantes ne parlent jamais du passé qu’avec un certain regret mêlé de reconnaissance pour le présent. Un jour, à un dîner, comme on parlait de l’ancienne cuisine sauvage et que les récits qu’on en faisait excitaient l’hilarité des jeunes gens, une vieille femme qui ne partageait pas ces sentimens joyeux, dit en s’adressant aux voyageurs : « Bons étrangers, ce n’était pas seulement le poisson que nous mangions cru avant que les missionnaires nous eussent enseigné la nouvelle religion ; lorsque j’étais enfant, la moitié des convives ici présens, pour peu qu’il y eût eu un moment de disette et que les appétits eussent été bien aiguisés, auraient trouvé que vos deux corps étaient un repas bien insuffisant. » Cette docilité, cette assimilation rapide des leçons de morale qui leur sont données, honorent certainement les naturels des îles Sandwich, mais ces qualités ne sont pas sans danger pour l’avenir de leur race. Cette absence de transition entre deux états si complètement opposés ne peut qu’énerver