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son esprit ni dans sa parole, qui annonçât un homme supérieur. L’abbé Alary s’est plaint des dîners et de la cave du philosophe Anglais. Il était précepteur de Louis XV. La remarque d’ailleurs peut être vraie. Newton avait un traitement considérable et a laissé une fortune de 30,000 livres (750,000 fr.), mais il n’a jamais été magnifique. On dit qu’il était à la fois avare et bienfaisant.

Le 2 mars 1727, Newton vint à Londres pour présider la Société royale, ce qui ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Après la séance, et de retour à Kensington, il fut attaqué ; de douleurs insupportables. Il gardait pourtant toute sa présence d’esprit et s’entretenait souvent avec Conduitt sur divers sujets de science et de religion ; mais son voyage à Londres l’avait fatigué, et le mouvement de la voiture avait déplacé la pierre. Le docteur Mead annonça bientôt qu’il n’y avait plus d’espoir. Après quelques alternatives de souffrances et de repos, Newton mourut, le lundi 20 mars, à deux heures du matin. Il fut enterré à Westminster.

Nous avons cherché à faire mieux connaître la vie et les travaux de Newton. Qu’on nous permette une dernière réflexion. Les grands esprits de tous les temps ont été tantôt purement abstraits et occupés d’idées générales et théoriques, tantôt pratiques et voués à la découverte des lois naturelles. Leibnitz, par exemple, a écrit et pensé sur la philosophie et les mathématiques ; c’était un métaphysicien et un géo mètre de premier ordre, mais on ne saurait dire que ce fût un grand physicien. Lavoisier et Linné avaient le génie des découvertes et la sagacité nécessaire pour étudier les phénomènes naturels, en déterminer les lois et en découvrir les causes dans les effets. Newton à une faculté d’abstraction incomparable joignait le don précieux d’appliquer immédiatement à la réalité les conceptions pures de son esprit ; il découvrait en même temps le calcul des fluxions, le système du monde et la composition de la lumière. Voilà peut-être, selon nous, la principale raison de sa supériorité, voilà ce qui le distingue entre tous. Aucun mathématicien, disait Leibnitz lui-même, ne peut lui être comparé, aucun observateur n’a mieux observé ; personne n’a réuni au même degré les deux grandes facultés de l’esprit humain.


PAUL DE REMUSAT.