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aux environs de Rome. Ses poésies sont pleines d’allusions locales. On ne peut voir le Soracte sans se rappeler le altâ slet nive candidum Soracle, le Soracte blanchi par une neige épaisse, tel qu’on s’étonne à tort de ne le voir jamais, oubliant qu’Horace parle du Soracte chargé de neige pour désigner un hiver d’une rigueur extraordinaire dans lequel le Tibre avait gelé; ce qui est très rare, mais cependant s’est vu quelquefois : le Tibre a pris en 1807.

On peut suivre Horace dans les divers quartiers de la grande ville : sur le mont Quirinal, d’où il se plaint d’être obligé de courir à l’extrémité de l’Aventin; au Forum, où il est venu répondre d’un ami, et où il fend avec peine la foule qui l’entoure, lui demandant sa protection auprès de Mécène; dans le vicus tuscus, par où, à travers la population peu respectable qui habite le quartier toscan, il se rend chez ses libraires, les frères Sosie; enfin dans ces rues de Rome, alors si animées, maintenant si solitaires, où l’on ne rencontre plus tant d’embarras, où l’on n’est pas aussi gêné qu’au temps d’Horace par le transport des pierres et des poutres, où l’on est moins empressé de bâtir. C’est aux embarras de Paris qu’il faudrait transporter cette peinture des embarras de Rome, pour qu’elle fût ressemblante aujourd’hui; mais c’est bien à Rome que l’on retrouverait le mendiant jurant par Sérapis qu’il s’est cassé la jambe : seulement de nos jours le mendiant invoquerait à l’appui de son mensonge le nom de la madone au lieu du nom de Sérapis.

En faisant cette promenade horatienne, en allant çà et là avec l’aimable poète à travers les quartiers de Rome qu’il a parcourus et parfois mentionnés dans ses vers, on arrive sur la voie Sacrée, où l’on marche peut-être comme lui absorbé dans quelque rêverie frivole.

Nescio quid meditans nugarum, totus in illis.


Et encore à présent il peut arriver qu’on trouve là un fâcheux, qu’ayant lu son Horace, on lui dise aussi, pour s’en délivrer, qu’on a une affaire sur l’autre rive du Tibre, près des jardins de César, c’est-à-dire vers Santa-Maria in Trastevere, et que le fâcheux, comme celui d’Horace, se trouve avoir précisément affaire de ce côté. J’ai pour ma part essayé du moyen employé par le poète pour échapper à un secatore de son temps, et cet artifice ne m’a pas mieux réussi qu’à lui.

Bien qu’Horace ait dit un jour : « Capricieux, j’aime Rome à Tibur et Tibur à Rome, » on voit que réellement il se déplaisait dans la vie agitée de la ville, et aimait la paix et la liberté des champs.

O rus, quando te aspiciam!


est un cri parti du cœur. « Tu sais, dit-il à l’intendant de son habitation rustique, démentant l’inconstance dont il s’accusait tout à