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des gouvernemens absolus. Les espèces elles-mêmes avaient été altérées et rognées, l’empreinte en était effacée, et la valeur peu d’accord avec le cours réel des métaux précieux. Malgré l’opposition d’une partie du commerce et la résistance des routiniers, une grande mesure fut décidée, et après avoir épuré l’administration, changé les employés suspects, Montague voulut nommer des contrôleurs et des directeurs spéciaux chargés de surveiller une refonte complète de toutes les monnaies d’or et d’argent. Le chancelier de l’échiquier était un homme de lettres et un homme aimable, et il devint l’un des plus habiles ministres de la Grande-Bretagne. Il est un des premiers exemples d’une fortune politique commencée par des succès littéraires. Entré à l’université de Cambridge en 1679, il s’était lié avec Newton, son aîné de quelques années. Tous deux avaient même fondé une société philosophique, qui dura peu. Montague s’était fait connaître par des poèmes qui lui avaient valu d’abord la protection de lord Dorset, puis celle du roi Guillaume, et qui furent l’origine de sa fortune. Quoique durant la session il vît rarement ses anciens amis de Cambridge, il ne cessait pas de leur écrire, et lorsqu’il fut nommé chancelier de l’échiquier, il chercha parmi eux un homme habile et sûr. Il se souvint sans doute que Newton était pauvre et que ses amis avaient souvent tenté en vain d’assurer son existence. On avait même pensé pour lui à une place à la monnaie, où ses connaissances chimiques pouvaient être utiles. Montague était fort lié avec Halley et Locke, qui ne furent pas étrangers à l’entreprise. Il est donc tout simple que le chancelier de l’échiquier ait songé à nommer Newton gardien de la monnaie avec 600 livres (15,000 fr. ) de traitement, et que plus tard, l’opération étant heureusement ter minée, on l’ait nommé grand-maître, aux appointemens de 1,500 liv. (37,500 fr.).

Assurément cela paraît fort simple, et aucune place n’a jamais été mieux donnée. Voici pourtant ce qu’en dit Voltaire, dont l’opinion, soutenue par quelques-uns, est vivement attaquée par d’autres : « J’avais cru dans ma jeunesse que Newton avait fait sa fortune par son extrême mérite. Je m’étais imaginé que la cour et la ville de Londres l’avaient nommé par acclamation grand-maître des monnaies du royaume. Point du tout. Isaac Newton avait une nièce assez aimable nommée Mme Conduitt ; elle plut beaucoup au grand-trésorier Halifax. Le calcul infinitésimal et la gravitation ne lui auraient servi de rien sans une jolie nièce. » Au nom de l’intégrité du ministre, comme au nom de la délicatesse de Newton, une pareille imputation est repoussée par tous les Anglais. Malheureusement la plupart des Français sont en cela de l’avis de Voltaire, fort aises apparemment de pouvoir dire que les places se gagnaient d’un côté du détroit