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Dire à Leibnitz qu’un problème était possible, c’était le mettre sur la voie de la découverte, et dans une lettre de juin 1677, le correspondant de Newton expose le calcul différentiel tout entier, dont l’analogie et presque l’identité avec le calcul des fluxions est certaine, car ces deux calculs ne diffèrent que par une notation dont le mécanisme, d’un emploi général, opère comme de lui-même. Newton, dans la première édition des Principes, reconnaît cette découverte, et tout en affirmant qu’il a trouvé auparavant une méthode analogue, il n’accuse Leibnitz ni de mauvaise foi ni de plagiat.

Vingt ans plus tard, Newton publia un petit traité intitulé de Quadratura curvarum, où il exposa pour la première fois les principes de la méthode des fluxions, et aussitôt dans les Acta eruditorum de Leipzig parut un article attribué à Leibnitz lui-même. La méthode des fluxions y était comparée au calcul différentiel connu et employé dans l’Europe entière, et Newton était accusé d’avoir déduit une méthode imparfaite de la méthode plus parfaite de Leibnitz. Le docteur Keill, professeur d’astronomie à Oxford, s’empressa de publier, dans les Transactions philosophiques, une lettre à Oldenburg, où les droits de Newton étaient vivement soutenus. Il n’accusait pas tout à fait Leibnitz de plagiat, mais peu s’en fallait. Leibnitz se plaignit à la Société royale, et Newton, qui en était alors président, expliqua la nature et les causes du débat. Il fut décidé que le docteur Keill écrirait une lettre déclarant qu’il reconnaissait que Leibnitz ignorait la méthode des fluxions, mais que Newton, qui l’avait inventée, lui avait adressé deux lettres par Oldenburg, et lui avait transmis des renseignemens assez intelligibles pour qu’un esprit aussi exercé en tirât ou en pût tirer les principes de ce calcul (unde Leibnitius principia illius calculi hausit mit haurire potuit ).

Quoique cette lettre ait passé pour une concession, Leibnitz écrivit à un des membres de la Société royale, sir Hans Sloarte, pour se plaindre de nouveau. Il affirma avoir découvert le calcul différentiel quelques années avant sa correspondance avec Newton ; il injuria Keill jusqu’à l’appeler un coquin (an upstart), et conjura la Société royale de lui rendre justice et d’imposer silence aux calomniateurs. C’était mal s’adresser, car le patriotisme et l’amitié devaient prévenir les juges contre lui. La Société royale nomma une commission composée d’amis et de collègues de Newton. Les gens impartiaux y étaient rares. On décida pourtant l’impression de toutes les pièces, de tout ce que l’on put trouver de lettres originales sur la matière contestée[1]. Halley fit un rapport favorable à Newton, et ses conclusions

  1. Commercium epistolicum D. Johannis Collins et aliorum de analysi promota, London 1713. — L’édition originale est devenue à peu près introuvable, et M. Biot a eu l’excellente idée de la réimprimer avec les variantes d’une édition de 1722. Cette réimpression doit paraître chez M. Mallet-Bachelier.