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voisinage avait attiré les poètes dans ce quartier; Properce y habitait, comme Virgile et probablement Horace.

La légende a commencé de bonne heure pour Virgile. Avant que, dans les fabliaux, on eût fait du grand poète un sorcier malin et quelquefois dupé, dans la Vie de Virgile attribuée à Donat, parmi d’autres anecdotes puériles, il en est une dont l’origine pourrait bien se rattacher à un monument retrouvé récemment, le tombeau du boulanger Virgilius. Il y a quelques années, en dégageant la Porte-Majeure d’un ouvrage de fortification qui remontait à Honorius, on découvrit, caché dans la maçonnerie qu’on détruisait, un grand tombeau appartenant à un boulanger nommé Virgilius Eurysacès, qui avait la ferme du pain pour les appariteurs, ainsi que l’apprend une inscription répétée sur les quatre faces du monument. Ce monument bizarre, dans lequel le mort avait fait représenter en de curieux bas-reliefs tout ce qui se rapporte à la préparation, à la confection et à la vente du pain, ce monument, avant qu’il eût disparu dans les constructions d’Honorius, avait dû frapper les yeux du peuple par sa grandeur, sa singularité, sa situation à l’angle que formaient les voies Labicane et Prenestine. Le nom de Virgilius plusieurs fois répété avait pu faire croire au vulgaire que c’était le tombeau de Virgile. De là peut-être est venue une historiette ridicule d’après laquelle Auguste aurait envoyé plusieurs fois des pains au poète, et le poète, mécontent d’être ainsi récompensé, aurait dit un jour à l’empereur que sans doute il était fils d’un boulanger. Le peuple, en voyant représentés sur ce qu’il prenait pour le tombeau de Virgile des pains transportés, pesés, distribués, a pu supposer que ces représentations faisaient allusion à un trait de la vie de Virgile et imaginer le conte absurde dont je viens de parler.

Les bustes de Virgile sont, d’après le sage auteur de l’Iconographie romaine, Visconti, dénués de toute authenticité; mais il faut convenir que la douceur et la pureté des traits qu’on lui prête conviennent à ce qu’on sait de son caractère aimable et candide, non moins qu’à la pureté de son génie. Si ces portraits n’ont pas été faits d’après lui, on peut les dire ressemblans, car ils ressemblent à son âme et à ses vers. Il en serait de ces bustes comme de celui d’Homère, certainement idéal, mais qui est pour ainsi dire l’effigie de sa poésie sublime.

On n’a pas non plus de buste authentique d’Horace. Son portrait est dans ses œuvres, où il se peint tout entier avec un charmant abandon et sans trop se flatter, pas plus au physique qu’au moral, petit, replet, les yeux chassieux. Une médaille nous prouve qu’il avait une figure fine et spirituelle, comme devait l’être celle de l’auteur des Satires et des Épitres, qui forment la partie la plus originale de ses œuvres, celle où il a le plus mis de lui-même. Le souvenir d’Horace est beaucoup plus présent que celui de Virgile à Rome, et surtout