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L’époque de l’incendie n’est pas certaine, et il est probable que deux ouvrages de Newton ont été perdus par des accidens analogues. Ce qui est sûr pourtant, c’est que dans l’automne de 1692 la santé de Newton s’altéra, altération peut-être naturelle, peut-être due aux regrets que lui inspirait la destruction de son manuscrit. Il perdit l’appétit et le sommeil. Pendant un siècle et demi, les biographes n’avaient vu la qu’une indisposition ordinaire, dont ils ignoraient la nature. M. Biot, guidé par quelques indices, a été plus habile, on n’oserait dire plus heureux. M. van Swinden lui a transmis une page manuscrite de Huyghens, trouvée parmi les feuilles d’un journal où il notait les événemens de quelque importance, et qui est aujourd’hui dans la bibliothèque de Leyde. Voici cette note : « Le 29 mai 1694, M. Colin, Écossais, m’a raconté que l’illustre géomètre Isaac Newton est tombé, Il y a dix-huit mois, en démence, soit par suite d’un trop grand excès de travail, soit par la douleur qu’il a eue d’avoir vu consumer par un incendie son laboratoire de chimie et plusieurs manuscrits importans. M. Colin a ajouté qu’à la suite de cet accident, s’étant présenté chez l’archevêque de Cambridge et ayant tenu des discours qui montraient l’aliénation de son esprit, ses amis se sont emparés de lui, ont entrepris sa cure, et, l’ayant tenu renfermé dans son appartement, lui ont administré bon gré mal gré des remèdes au moyen desquels il a recouvré la santé, de sorte qu’à présent il recommence à comprendre son livre des Principes. » Le passage est formel assurément et corroboré encore par une lettre de Leibnitz, qui écrit à Huyghens : « Je suis bien aise d’apprendre la guérison de M. Newton, en même temps que sa maladie, qui était sans doute des plus fâcheuses. » Appuyé sur ces deux autorités, M. Biot a affirmé que dans l’année 1693 les facultés de Newton avaient subi un affaiblissement d’abord complet, puis partiel seulement, mais que sa guérison n’avait jamais été entière. Il a expliqué ainsi comment Newton, âgé seulement alors de cinquante ans, n’a donné aucun travail nouveau ni sur l’astronomie ni sur la physique, et s’est contenté de corriger des éditions nouvelles des ouvrages de sa jeunesse. Son état lui permettait encore de comprendre, mais non plus d’inventer. Le Commentaire sur l’Apocalypse et quelques ouvrages théologiques passent, il est vrai, pour avoir été composés en 1700 et plus tard, et on pourrait croire que ces publications nouvelles sont des preuves de la raison de Newton et de l’intégrité de son esprit : M. Biot ne l’a pas pensé.

On conçoit l’indignation et l’étonnement produits par cette découverte. Qui peut répondre de sa raison, si Newton a été fou ? Le génie serait-il donc en effet une maladie à laquelle les hommes ordinaires ne pourraient être sujets ? La fatigue qu’il produit chez ceux qui en sont