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consumés. Il n’y a dans l’histoire, que l’incendie de Moscou qui puisse être comparé à celui-là.

Néron l’avait-il allumé ? Suétone et Dion Cassius l’affirment. Tacite hésite à le croire ; pour moi, j’incline à l’admettre. L’idée de refaire une Rome nouvelle plus belle que l’ancienne, si irrégulière, si pleine de petites rues tortueuses, pouvait tenter son goût d’artiste. Il n’est pas impossible que, dans sa prédilection pour tout ce qui se rapportait à Homère et à la guerre de Troie, prédilection qui lui fit récompenser la plate traduction des poèmes homériques par Labéon, il ait dit, mêlant à son enthousiasme classique la férocité bizarre de son âme dépravée : « Heureux Priam qui, en perdant l’empire, a vu la destruction de sa patrie ! » et qu’il ait voulu faire, après une imitation en vers de quelque poème cyclique sur l’incendie de Troie, un plagiat en action. Il était à Antium quand le feu se déclara ; s’il ne le fit point allumer, il ne se pressa point en tout cas de venir l’arrêter, car il ne reparut dans Rome que lorsque le fléau, après avoir fait le tour de la ville, vint attaquer la demeure impériale sur l’Esquilin, près des jardins de Mécène.

Les hommes qu’on vit çà et la jeter des torches allumées sur les maisons, en disant qu’ils avaient reçu des ordres, pouvaient faire d’ordres supposés un prétexte au pillage ; mais il est bien difficile de rejeter le récit qui courut alors, selon Tacite, et que ne révoquent en doute ni Suétone, ni Dion Cassius, d’après lequel Néron aurait, soit dans l’intérieur de son,palais, soit du sommet de ce palais, soit, du haut de la tour de Mécène, chanté l’incendie de Troie. Rien n’est plus dans le caractère de cet homme, toujours préoccupé du chant et du drame, voyant tout au point de vue théâtral. Peut-être était-ce un poème de lui qu’il chanta, car Juvénal nous apprend que Néron avait composé des Troïca. La vanité de l’auteur et celle du chanteur auraient trouvé alors dans le spectacle offert à ses yeux une égale occasion de briller. Quoi qu’il en soit, la tradition de Néron contemplant en artiste la conflagration de Rome est restée populaire dans cette ville, et on appelle encore tour de Néron une tour en briques qui n’est point celle de Mécène, mais qui a été bâtie au moyen âge par les Caetani.

Néron eut donc le plaisir de rebâtir Rome, et de la rebâtir comme il l’entendait : il ouvrit des rues larges et de vastes espaces, et fit placer devant les maisons des portiques dont les plates-formes pouvaient servir à éteindre les incendies. Cependant les changemens trop brusques entraînent toujours quelque inconvénient, et il l’eut des esprits chagrins qui regrettèrent les petites rues étroites et les maisons très élevées, disant que la ville était moins salubre depuis qu’on avait moins d’ombre et qu’on était dévoré par la chaleur.