Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/864

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’architecture n’atteignit jamais à Rome une perfection plus grande que sous Néron. Quelques piliers en brique de l’aqueduc de Néron, qu’on voit près de la Porte-Majeure, sont d’un travail de construction achevé et supérieur à tout ce que les Romains nous ont laissé en ce genre, par la belle qualité des briques, par l’excellence et la petite épaisseur du ciment. Les deux môles de Porto d’Anzo sont aussi un modèle d’architecture. Les restes de la villa que Néron avait fait bâtir dans cet Antium où il était ne attestent le goût et la magnificence de ce temps. Les noms latins des deux architectes de la Maison-Dorée prouvent que les arts étaient devenus indigènes à Rome ; le colosse de Néron, dont l’auteur fut un artiste gallo-romain, fit voir que les arts étaient cultivés avec succès dans les provinces. La statuaire grecque, soit originale, soit reproduite par des copies, ornait les palais de Néron. On a trouvé dans celui de Rome le Laocoon et le Méléagre, et dans les ruines d’Antium le Gladiateur et l’Apollon du Belvédère. Le goût de Néron pour la poésie grecque et son voyage en Grèce avaient donné encore plus de vogue à tout ce qui avait une origine hellénique. L’art devait s’en ressentir, et aussi l’élégance de la vie. Les peintures qui décorent même à cette heure une partie de la Maison-Dorée, et qui ont peut-être inspiré les arabesques de Raphaël, en font foi. Il l’avait une sorte d’atticisme dans la corruption monstrueuse de cette société qui a produit Pétrone, et que Pétrone a peinte.

Il faut le reconnaître, les arts peuvent fleurir sous la tyrannie. Ils conservent quelque temps l’inspiration qu’ils ont reçue de la liberté, et même, quand ils ont perdu la grandeur, ils peuvent encore aspirer à l’élégance. L’éloquence, la philosophie, la haute poésie, sont plus atteintes par l’absence de liberté ; cependant elles peuvent avoir sous les plus mauvais règnes une sorte d’éclat superficiel : Sénèque écrivait sous Néron.

Les magnificences de l’art n’étaient pas seulement pour l’empereur, elles étaient encore pour tous les hommes opulens, et en particulier pour certains affranchis. Les régionnaires du IVe siècle placent près de la porte Tiburtine, aujourd’hui la porte San-Lorenzo, les jardins de l’affranchi Épaphrodite, un de ceux qui accompagnèrent Néron dans sa fuite. Le monument appelé, sans bonne raison, temple de Minerva Medica, une des belles ruines de Rome, était une dépendance des jardins d’Epaphrodite. Du même côté, mais hors de la ville, se trouvaient les jardins de Pallas, qui fut puissant sous Claude et sous Néron. Pallas s’y était fait bâtir un tombeau magnifique. On y lisait cette inscription : « À cause de sa piété et de sa fidélité envers ses patrons, le sénat lui a décerné les ornemens prétoriens et 150,000 sesterces, honneur dont il s’est contenté. » Pline