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par une jeune, et belle nièce, qui ne négligea rien pour y réussir. Dominé par elle, il lui laissa préparer la grandeur de Néron aux dépens de son fils Britannicus ; puis, se réveillant de cette langueur, il voulut réparer le mal qu’il avait fait. Agrippine surprit cette pensée de Claude. Bientôt il mourait après avoir mangé, avec son avidité ordinaire, des champignons qu’elle lui avait présentés, ou d’une mort encore plus ridicule, car il fallait qu’il l’eût de l’ignoble et du burlesque dans la mort de Claude comme dans sa vie.

Agrippine, qui vient d’empoisonner Claude, va lui élever un temple. Ce temple, qu’entourait un immense portique, n’existe plus ; mais on en reconnaît parfaitement la place et l’étendue sur le Mont Cœlius, derrière le Colisée. Le temple de Claude et ses dépendances occupaient ce carré long bien aplani et taillé à pic de trois côtés, où est aujourd’hui le jardin des passionistes. Quelques maigres cyprès qui s’y dressent semblent une image du deuil peu profond d’Agrippine. Pour elle, il faut l’aller chercher au musée du Capitole. Un buste l’y montre avec cette beauté plus grande que celle de sa mère, et qui était pour elle un moyen. « Chaste, quand il n’y allait pas de sa domination, » a dit Tacite ; mais si son ambition était intéressée, elle se servait de sa beauté sans pudeur et sans remords, pour séduire son vieil oncle Claude, pour s’assurer le concours de l’affranchi Pallas, pour subjuguer son fils. Des soupçons fâcheux répandus sur le compte d’Agrippine et des aveux honteux de l’histoire, il semble résulter qu’elle n’avait plus le droit d’invoquer son titre de mère contre un fils parricide et de dire au centurion chargé de la tuer : Ventrem feri. Quand Marie-Antoinette poussa ce cri d’indignation sublime : « J’en appelle à toutes les mères, » elle oubliait Agrippine.

Le buste du Capitole est très remarquable. Agrippine a les yeux levés vers le ciel ; on dirait qu’elle craint et qu’elle attend. Il n’y a pas de doute sur l’authenticité des bustes d’Agrippine. On n’en peut dire autant d’un buste du Vatican qui passe pour être celui du père de Néron. C’est un chef-d’œuvre de naturel et de vérité ; mais je ne puis reconnaître dans ce gros homme inoffensif Domitius AEnobarbus, célèbre par une cruauté qui devait être héréditaire. Ce n’est pas là celui qui fit mourir un de ses affranchis parce qu’il refusait de boire avec excès, qui écrasa volontairement sur la voie Appienne un enfant, et qui a pu dire : « De moi et d’Agrippine il ne saurait rien naître que d’exécrable. »

Quant à Néron lui-même, un buste qui est au Vatican le représente avec la couronne de laurier que recevaient dans les concours publics les chanteurs et les poètes, et une statue, avec les attributs d’Apollon qui tient la lyre (citharœdus). Grâce à de tels accessoires, ces deux portraits sont ceux qui rendent le mieux le vrai du