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d’expansion depuis que la vie se refroidissait au cœur de l’état. Or, le jour où une puissance qui a toujours marché s’arrête, elle est menacée ; le jour où elle recule, elle est perdue.

Claude fit cette expédition en Bretagne, conduit par un sentiment louable qui n’avait pas toujours été celui de ses prédécesseurs, « ne trouvant pas, dit Suétone, digne d’un souverain de recevoir les ornemens triomphaux sans avoir mérité les honneurs d’un juste triomphe. » Un arc triomphal lui fut élevé sur la voie Flaminienne. Si on ne les avait pas abattus, quatre arcs de triomphe décoreraient aujourd’hui le Corso, qui traverse la Rome moderne et suit à peu près la direction de l’ancienne voie Flaminienne. L’arc de Claude était un des quatre, et se verrait non loin du palais Sciarra. On a placé dans le péristyle du casino de la villa Borghèse quelques fraginens des bas-reliefs qui ornaient l’arc de Claude ; ils sont très mutilés, mais on y reconnaît un beau travail, il est curieux, pour les Anglais qui viennent à Rome, de retrouver la ces monumens de la résistance de leurs pères aux Romains. Claude ne se doutait pas que dans ce pays de Bretagne, dont les habitans étaient pour lui presque des sauvages, serait un peuple qui ressemblerait plus aux Romains de la république que ne leur ressemblaient les Romains de l’empire, et que les descendans de ceux qu’il avait vaincus viendraient à Rome visiter les débris de son arc triomphal renversé.

On n’eût pas attendu de Claude Un sentiment aussi noble que celui qu’indique Suétone ; on est encore bien plus étonné en le voyant accomplir deux des plus grandes choses que les Romains aient faîtes, le port d’Ostie et l’émissaire du lac Fucin, conceptions de César, que ni lui ni Auguste n’avaient réalisées. La construction du port d’Ostie présentait de très grandes difficultés ; elles avaient déterminé César, qui ne se décourageait pas facilement, à y renoncer. Claude n’était point César ; mais malgré les ingénieurs qui voulaient l’effrayer de la dépense à faire et lui présentaient les attérissemens perpétuellement formés par la mer comme un obstacle invincible, il s’opiniâtra et réussit. Claude fut décidé à mener à fin ce grand travail par le besoin d’assurer l’approvisionnement de Rome, qui tirait, comme on sait, presque tous ses blés de l’Égypte et de la province d’Afrique. Les blés ayant manqué pendant plusieurs années, il y eut une émeute ; le pauvre empereur fut un jour assailli par le peuple, qui l’accablait d’injures et lui jetait des morceaux de pain à la tête. La question des subsistances est toujours une grande question. Sous un gouvernement absolu, elle est, à vrai dire, la seule question politique, car la faim est le seul argument avec lequel un tel gouvernement ait à compter, et la liberté de ne pas mourir de faim la seule liberté qu’il ne puisse supprimer sans opposition. Claude le comprit, et il chercha