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aujourd’hui la façade de la douane, appelée (rencontre bizarre!) la douane de mer. Agrippa donna le plus grand soin aux eaux, cette première nécessité des Romains. Durant son édilité, il établit cent cinq fontaines jaillissantes, soixante-dix abreuvoirs, trente châteaux d’eau. Le premier, il créa des bains publics, — on en voit un reste derrière le Panthéon, — et légua un revenu à Auguste pour que le peuple pût se baigner gratis; ceci montre que, dans l’origine, l’état percevait un droit sur les baigneurs. Ce luxe d’eau et d’ablutions, qui était celui des plus pauvres Romains, est bien diminué parmi leurs descendans, et j’ai vu un temps où il n’y avait à Rome pour les étrangers qu’une baignoire. On se faisait inscrire pour avoir son tour. Agrippa amena dans Rome l’eau virgo, la meilleure de toutes; on peut s’en convaincre encore aujourd’hui, car l’acqua vermine a conservé son excellence comme son nom. C’est elle qui forme la belle nappe de la fontaine de Trevi, ce monument où le rococo est grandiose et où le bizarre touche au sublime. Si l’on descend dans un lavoir obscur du voisinage, on trouve les restes d’un château d’eau qui appartenait à l’aqueduc d’Agrippa. L’architecture sévère du monument antique contraste d’une manière frappante avec le château d’eau de l’école du Bernin. Cette eau s’appelait eau virgo parce qu’une jeune fille en avait indiqué la source. Agrippa eut soin de lui donner le nom d’Auguste, et l’appela aqua Augusta.

Agrippa avait besoin, pour préparer sa grandeur future, de la faveur populaire en même temps que de celle de l’empereur. Pour obtenir la première, il restaura les monumens et les routes; il fit exécuter un travail immense, la réparation et le nettoyage des égouts de Rome. Lui-même y descendit et les parcourut. Ce fut alors qu’il passa, en bateau, du Tibre sous la clouca maxima, ce que les voyageurs, quand les eaux du fleuve sont basses, peuvent faire, et ont raison de faire encore. Agrippa embellit et orna les Septa; on nommait ainsi le bâtiment où se faisaient les élections par tribus. Dans l’origine, c’était une enceinte en bois assez semblable à celles où l’on parque les brebis, ce qui lui avait fait donner le nom d’Ovilia, nom rustique comme la Rome primitive elle-même. Au temps du triumvirat, Lépide avait remplacé cette enceinte en bois par une enceinte en pierre. Cicéron, avant lui, avait formé le projet de la couvrir de marbre et de l’entourer d’un portique de mille pas. Agrippa l’orna de statues et de peintures. C’est au moment où les comices populaires, que Tibère allait bientôt détruire, avaient déjà perdu toute importance, que le complaisant Agrippa décorait magnifiquement les Septa. Cela faisait partie du manège d’Auguste, et donnait un éclat apparent aux élections, quand les élections ne signifiaient plus rien. Du temps où les Septa ressemblaient à une étable, le sort du