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Était-ce un caprice de Claresford, était-ce un caprice du destin qui lui prêtait ce nouveau charme ? Son regard avait une expression insolite ; la volupté, au lieu de s’y montrer avec une candeur un peu fatigante, semblait y paraître cette fois avec toutes les recherches qui peuvent en augmenter les attraits. Par un mouvement d’une curiosité gracieuse et qu’on eût dit inquiète, elle fit jouer le ressort du médaillon qui tombait sur la poitrine de Hugues. Ce médaillon renfermait un portrait dû au pinceau d’un peintre qui n’est plus. Je soupçonne cet artiste, mort en Italie, Il y a quelques mois, des suites d’une affection nerveuse, d’avoir adoré Olympia. Le pinceau d’un homme épris pouvait seul créer cette œuvre magique. Il fallait avoir rêvé bien des nuits pour reproduire, comme l’a fait l’auteur de cette peinture, ce front où, semblable aux fées des forêts allemandes, la pensée a laissé son voile, cette bouche qui peut dire tant de choses, et ce regard qui sait tout. Claresford a porté cette image au feu, jamais il ne l’a regardée sans émotion. Quand il la vit entre les mains d’Aïsha, il devint pâle. C’étaient les contrastes de sa vie présente qui s’offraient à lui d’une manière sensible : d’un côté, la créature de sang et de chair que le destin lui avait confiée, et de l’autre l’être idéal à qui toutes les lois de sa nature l’avaient soumis. Aïsha eut l’air un instant d’éprouver un sentiment de jalousie. — Laissez-moi, dit-elle, détruire ce sortilège ; voilà qui parfois vous rend triste, quand je suis à vos pieds. — Et déjà elle s’était emparée du portrait, qu’elle faisait mine de briser. Claresford lui arracha ce trésor des mains en la repoussant presque avec violence. Pour la première fois une larme, qui ne semblait pas de colère, se glissa sur ce beau visage où n’avait point paru encore une expression vraiment attendrie. Vous connaissez ce soulagement qu’on éprouve quand un ciel éternellement lumineux se voile tout à coup et laisse tomber quelques gouttes de pluie. Hugues ne put s’empêcher de ressentir quelque chose de semblable à cela, puis il se dit avec une sorte de terreur : — Mon Dieu ! si elle avait une âme ! — Un moment il crut qu’elle en avait une en effet. Le moment fut si fugitif, que je glisserai sur ce qu’il put éprouver. Ce qui est sûr, c’est qu’il envoya sa lettre à Olympia.

Un jour vint cependant où il sembla que la Turque avait triomphé. Les semaines s’étaient écoulées, et Olympia n’avait pas répondu. Claresford se croyait tout à fait abandonné. Osman-Pacha avait écrit d’Égypte pour prolonger la location de sa maison. On avait passé un nouveau bail de deux mois à des conditions un peu moins onéreuses que celles du premier. Un vendredi du mois d’août vers cinq heures, Hugues était assis sur le gazon, entre sa maîtresse et Strezza, car le Valaque avait de son côté passé un nouveau bail avec la vie. Grâce aux ardeurs du ciel d’Orient, la flamme mystérieuse destinée à