Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/83

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

maient pas qu’on leur fût supérieur en rien, que pour cette raison ils se chargeaient volontiers des entreprises dont le succès était facile, et confiaient aux autres ce qui était difficile et incertain; que s’ils étaient forcés de remettre à leurs sujets la conduite d’une affaire qui pouvait réussir, ils en avaient du dépit; que, tout en désirant le succès de l’entreprise, il ne leur plaisait pas qu’on en recueillît l’honneur; qu’en conséquence un homme qui voulait se conserver devait se tirer des difficultés d’une expédition, mais réserver pour le prince le mérite de la réussite. » On voit que la complaisance était la vertu dominante d’Agrippa, qualité du reste fort nécessaire au mari de Julie. Usant de cette dextérité dont il recommandait aux autres l’emploi, il s’illustra assez par les armes pour se créer des titres à l’empire, qu’il ambitionnait d’obtenir un jour, sans mécontenter l’empereur. On ne se douterait pas, en voyant les bustes d’Agrippa, qu’il fut un si parfait courtisan. Son visage a une expression de sévérité farouche qui répond très bien à ce que Pline, parlant de lui, appelle torvitas. Agrippa nous paraît, d’après sa mine renfrognée, avoir été un de ces hommes (et il y en a dans tous les temps) sur lesquels on pourrait faire la comédie du bourru complaisant. C’est de lui que Velleius Paterculus a dit « qu’il savait obéir à un seul pour commander aux autres, » c’est-à-dire que son caractère était à la fois servile et impérieux, ce qui non plus n’est pas rare : tout le monde a rencontré des Agrippa.

D’après le caractère d’Agrippa, on peut affirmer qu’il n’a jamais donné sérieusement à Auguste le conseil de déposer l’empire, d’autant plus qu’il aspira toujours à lui succéder, à moins que, dans la comédie qu’il voulait jouer, Auguste ne lui ait imposé ce rôle. L’historien Dion Cassius, qui nous donne le discours prononcé en cette occasion par Agrippa, discours que Dion sans doute a composé, fut probablement conduit à admettre ce récit peu vraisemblable par ce qui l’avait fait peut-être inventer, l’air rébarbatif d’Agrippa; cet air a pu tromper les anciens sur son compte, comme nous tromperaient ses bustes, si l’histoire n’était pas là pour les démentir. Tout trompeurs qu’ils sont cependant, ils ont une sorte d’importance historique en faisant comprendre l’erreur des contemporains d’Agrippa à la postérité. Du reste. Agrippa a fait de grandes choses, et aucun citoyen romain n’a laissé de plus grands monumens.

Homme de mer éminent et véritable auteur de la victoire navale qu’Auguste remporta sur Sextus Pompée, seul il fut honoré d’une couronne rostrale. En mémoire de ses exploits maritimes, il bâtit un portique où étaient peintes les aventures des Argonautes, et qui portait leur nom. Ce portique entourait un temple de Neptune auquel on croit avoir appartenu les onze belles colonnes qui forment