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outre l’éducation de l’école, il est encore pour l’homme une éducation de tous les jours, de tous les instans, l’éducation du foyer domestique. Quelle est-elle pour l’homme de l’Inde ? Dès son enfance, son esprit est rétréci dans un cercle de formes mécaniques, de rites frivoles, qui constituent les pratiques de la religion hindoue. Jeunes et vieux offrent aux idoles des mets que jeunes et vieux mangent ensuite sous prétexte que les idoles sont rassasiées. Les citrouilles, les chouettes, les chacals, les plus humbles ustensiles du ménage sont érigés en divinités et adorés sérieusement comme telles à des jours consacrés. Autour de l’enfant résonnent sans cesse des chants obscènes, où l’on célèbre les exploits de dieux pervers qui ne diffèrent des hommes que par la brutalité et la perversité de leurs excès ; pour premières paroles, sa bouche innocente apprend à balbutier des formules d’anathèmes destinées à attirer la malédiction d’en haut sur un ennemi. Ajoutez à ces élémens dissolvans de tout sens moral l’influence de certaines coutumes impies, telles que l’abandon des malades et l’exposition des morts au bord des fleuves. Ajoutez que dans la famille indienne la mère est réduite au rôle le plus dégradé, vouée aux fonctions les plus abjectes, moins considérée que le plus jeune de ses fils, et vous devrez logiquement et tristement conclure que l’éducation intime de la famille est exclusivement faite dans l’Inde pour dépraver le jugement, pervertir la raison, atrophier les sentimens de bonté et de justice innés au cœur de l’homme. Aussi ne doit-on pas s’étonner que le mensonge, le hideux mensonge soit à l’ordre du jour dans cette société bâtie sur l’imposture, et qu’un terrain semé comme à plaisir de tous les germes impurs qui peuvent flétrir et égarer les instincts de l’humanité ne produise qu’une impure et déplorable récolte d’êtres dépravés et criminels ?

Une femme de beaucoup de tact, devant laquelle je venais de flétrir avec la plus vertueuse colère l’immoralité des populations indiennes, me posa successivement un jour les questions suivantes : « Malade, vous l’avez été sans doute, n’avez-vous pas rencontré dans ces domestiques menteurs et coquins que vous venez d’anathématiser avec tant d’éloquence un dévouement profond, les soins les plus attentifs et les plus délicats ? Si vous admettiez dans votre maison en Europe un personnel de domestiques aussi nombreux que celui qui nous entoure dans l’Inde, et cela comme nous le faisons tous sans recommandations valables, sans garanties d’aucune sorte, croyez-vous que les vols dont vous seriez victime ne seraient pas autrement graves que les quelques paires de bas et la demi-douzaine de chaussettes qui manquent annuellement à votre garderobe ? N’est-ce pas un fait de tous les jours qu’une jeune fille fraîchement arrivée d’Europe accomplisse, pour rejoindre sa famille, les voyages les plus lointains,