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sujets du pays. Il y a même des castes de la population native qui sont vouées au dacoït de génération en génération : telle est celle des kechucks. Quelques chiffres officiels suffiront pour faire comprendre l’étendue des déprédations des dacoïts. Pendant les années 1833, 1834, 1835 et 1836, les tribunaux anglais eurent à juger 14,168 individus prévenus du crime de dacoït ; sur ce nombre, 4,665 furent condamnés à subir la peine de mort ou celle de la transportation.

Pour donner une idée exacte des crimes qui se commettent dans l’Inde, il faudrait encore dresser non-seulement la liste de cette triste progéniture de la misère et des passions, — le meurtre, le viol, le faux, le parjure, l’adultère, — mais faire remarquer que les crimes de l’Inde sont empreints d’un caractère de férocité que l’on ne rencontre pas dans la société européenne. La férocité du bourreau et le stoïcisme de la victime chez les hommes de l’Asie ne le cèdent en rien au stoïcisme et à la férocité des peaux-rouges de l’Amérique, et il se commet journellement dans les domaines de la compagnie des crimes dont les détails effraieraient le tortureur le plus expert du moyen âge. Soit que le sens moral de l’Indien ait été dégradé par des siècles d’abrutissante tyrannie, soit que sa chair et ses nerfs soient plus rebelles aux souffrances que la chair et les nerfs de l’homme d’Europe, l’instinct de la torture semble inné dans les populations natives. Le père punit son fils vicieux en injectant du poivre rouge dans ses yeux. Un fermier a-t-il à sévir contre un serviteur infidèle, il l’expose des heures entières en plein soleil, bras et jambes liés, ou l’enferme dans un étroit réduit, sur un lit de chaux en poudre. Il est dans les mœurs de la police, pour obtenir des aveux, d’appliquer des moxas aux prisonniers et de les suspendre par les cheveux ou les moustaches. Enfin les voleurs, les voleurs eux-mêmes, ne se gardent pas la foi jurée, et l’on raconte qu’un voyageur qui avait saisi par les pieds un voleur rampant sous la partie inférieure de sa tente ramena bientôt à lui un cadavre décapité : les complices du voleur s’étaient mis à couvert, par cette mesure sommaire, contre toute possibilité de révélations. Longue et extraordinaire serait la liste des exécrables moyens auxquels l’homme de l’Inde a recours pour satisfaire ses passions ou sa cupidité ; mais parmi les plus extraordinaires serait sans contredit celui qui consiste à donner la mort en introduisant dans les entrailles de la victime un bâton effilé. Ce mode de destruction est tellement répandu dans l’Inde, qu’il est même pratiqué par des enfans ! Parmi les criminels traduits devant les tribunaux de l’Inde, on compte souvent de précoces scélérats qui tuent par ce procédé un petit camarade pour s’approprier ses bracelets et ses colliers.