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Paris, en haine des journalistes et des critiques, il représente le monde des théâtres, des journaux et des lettres comme une caverne de voleurs, de charlatans et de saltimbanques ; tantôt c’est la nécessité de trouver du nouveau qui le presse. Lui-même en fait l’aveu dans ce curieux passage : « Il se jouait à La Baudraye une de ces longues et monotones tragédies conjugales qui demeureraient éternellement inconnues, si l’avide scalpel du XIXe siècle n’allait pas, conduit par la nécessité de trouver du nouveau, fouiller les coins les plus obscurs du cœur, ou, si vous voulez, ceux que la pudeur des siècles précédens avait respectés[1]. » Alors, mettant de côté l’antique modestie, vertu très surannée, il nous traîne, comme dans le roman que nous venons de citer, à travers des calculs ignobles, des turpitudes sans nom, et des scènes qui font venir la nausée.

Le dernier ouvrage de M ; de Balzac porte l’empreinte des mêmes défauts. L’écrivain y rentrait dans l’étude des mœurs privées : mal heureusement il y rentrait poursuivi, obsédé par les excitations d’une littérature frénétique, ne se nourrissant que de crimes et d’horreurs, et mettant la peinture du mal, sous ses formes les plus hideuses à la place de l’analyse des passions humaines. C’est évidemment sous cette inspiration qu’ont été écrits les Parens pauvres. Le talent s’y montre encore puissant, l’observation pénétrante ; mais les caractères sont poussés à outrance, les situations violentes et forcées. On va, avec Mme Marneffe, au comble de la corruption cynique, avec la cousine Bette aux dernières atrocités de la haine, avec Hulot aux extrémités de l’ignoble et de la dégradation. Le cœur se soulève au milieu de toute cette fange remuée à plaisir.

Nous ne saurions terminer sur ce point sans dire un mot des tentatives que M. de Balzac a faites au théâtre. On sait en effet qu’à plusieurs reprises il s’est essayé et dans la comédie et dans le drame. Ni l’un ni l’autre ne lui ont réussi, et le succès posthume de sa pièce de Mercadet, habilement corrigée par une main amie, ne suffit pas à faire penser qu’il fût appelé à recueillir dans cette carrière une gloire comparable à celle que lui a value le roman. La raison en est facile à dire. Si M. de Balzac possédait à un rare degré plusieurs des qualités qui font le peintre de mœurs, il n’avait pas celles que demande le théâtre. Son talent est un talent descriptif bien plus que dramatique : il a l’observation minutieuse et l’analyse prolongée bien plus que le mouvement et l’action scéniques. Il sait mieux détailler les caractères et décrire les passions que les mettre en jeu et les faire se développer d’elles-mêmes.

En même temps que ses qualités s’effacent à la scène, ses défauts

  1. Dinah Piedefer, première partie, ch. 8.