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métaphores gigantesques, un style tantôt métaphysique et tantôt biblique, ici le jargon byronien, plus loin la phraséologie des illuminés, le tout couronné par un chapitre inédit de l’Apocalypse, voilà Seraphita.

Que tout cela soit peu sérieux, je le veux bien ; qu’il y faille voir bien moins une œuvre philosophique qu’une gageure, un jeu d’esprit, une fantaisie de poète qui s’essaie à exécuter des symphonies mystiques sur la harpe des séraphins, du même air qu’il eût chanté quelque élégie passionnée sur la viole d’amour, je ne suis pas éloigné de le croire. Il y a là pourtant quelque chose de grave : il y a, sous des formes bizarres ou fantastiques, un fond d’idées très sérieuses. Ce fond, c’est le matérialisme même, c’est cette triste opinion qui fait de l’intelligence une chose matérielle et de tous les sentimens humains des phénomènes physiques. Cette doctrine est si bien le fond de la pensée de M. de Balzac, qu’on la retrouve partout chez lui, tantôt implicitement admise, tantôt formellement énoncée : à chaque instant, elle se fait jour sous sa plume.

Ouvrez, par exemple, la Peau de Chagrin ; vous y lisez ceci : « La volonté est une force matérielle semblable à la vapeur, une masse fluide dont l’homme dirige à son gré les projections. » Prenez le Père Goriot : « Le hardi philosophe qui voudra constater les effets de nos sentimens dans le monde physique trouvera sans doute plus d’une preuve de leur effective matérialité dans les rapports qu’ils créent entre nous et les animaux. » A la première page de César Birotteau, vous trouverez encore cette phrase : « La peur est un phénomène,… comme tous les accidens électriques, bizarre et capricieux dans ses modes. Cette explication deviendra vulgaire le jour où les savans auront reconnu le rôle immense que joue l’électricité dans la pensée humaine. » Lisez enfin et surtout Ursule Mirouet : la même doctrine s’y accuse plus nettement et s’y précise encore, s’il est possible, en revêtant une forme nouvelle. Le dogmatisme de Louis Lambert, le mysticisme de Seraphita, sont devenus dans Ursule Mirouet tout simplement du magnétisme animal : la volonté et la pensée ne sont que des phénomènes magnétiques ; les visions, l’extase, la divination ne sont que des effets de somnambulisme. Ainsi s’expliquent les communications de Swedenborg avec les morts ; ainsi s’expliquent les miracles de Jésus-Christ et des apôtres. « Le magnétisme, dit l’auteur, la science favorite de Jésus et l’une des puissances divines remises aux apôtres, ne paraissait pas plus prévu (avant Mesmer) par l’église que par les disciples de Jean-Jacques Rousseau et de Voltaire, de Locke et de Condillac. » Le christianisme bien compris n’est rien autre chose en somme que la science du magnétisme, et, par exemple, la communion de tous les fidèles est un mystère