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Le désordre, la confusion qui se remarquent dès le premier coup d’œil dans l’œuvre de M. de Balzac, éclataient bien plus encore, au témoignage de tous ceux qui l’ont connu, dans son esprit, dans sa conduite, dans sa conversation. Pour qui le voyait seulement une heure, l’homme expliquait tout de suite l’écrivain. Caractère bienveillant, imagination fougueuse, esprit mobile, intempérant, fantasque, déréglé, c’était là l’auteur de la Peau de Chagrin. Sa tête était incessamment en ébullition : mille idées y fermentaient à la fois ; mille conceptions bizarres, mille rêves étranges y bouillonnaient, comme une lave qui cherche à s’épancher. Romans, drames, comédies, polémique, systèmes scientifiques, théories politiques, entreprises littéraires et industrielles, tout l’attirait, tout le passionnait en même temps ; tout se mêlait et tourbillonnait dans son esprit. Il avait vingt ouvrages commencés à la fois, et souvent abandonnés le lendemain ; il avait vingt projets ébauchés en une heure, auxquels il ne songeait plus l’heure d’après. Le trait saillant de ce singulier esprit était une vanité immense, maladive, qui se traduisait au dehors par des habitudes bizarres et, comme on dit aujourd’hui, excentriques, par des singularités de vie et des affectations de toilette souvent puériles, mais qu’on retrouvait partout au même degré, dans toutes ses paroles et dans toute sa conduite. Roturier de naissance et s’appelant tout bonnement de son nom authentique Honoré Balzac[1], il avait après 1830, et pour jouer un rôle d’opposition légitimiste, pris des allures de gentilhomme et fait précéder son nom bourgeois de la particule nobiliaire. Ses prétentions aristocratiques étaient un des points sur lesquels il était le plus chatouilleux et supportait le moins la contradiction ou la raillerie, prétentions fort mal justifiées d’ailleurs par une fausse élégance, un luxe de mauvais goût, et surtout par des habitudes et un langage qui n’étaient rien moins que ceux de la bonne compagnie.

Un des effets de cette vanité vraiment fabuleuse de M. de Balzac, c’est l’universalité d’ambition qu’il a toujours affichée, c’est l’intrépide assurance avec laquelle il s’est proposé de tout embrasser, a prétendu tout savoir, et s’est donné comme capable de tout. N’être qu’un romancier, un peintre de mœurs, il ne pouvait se résigner à un rôle si étroit. Comme écrivain, il a voulu s’élever à tous les

  1. L’acte de naissance de Balzac, porté sur les registres de l’état civil de la commune de Tours à la date du 2 prairial an VII (21 mai 1799), l’indique comme fils de Bernard-François Balzac, propriétaire, et de Anne-Charlotte Sallambier. Dans l’acte de naissance de son frère Henri-François, né le 20 décembre 1807, le nom de famille est établi de la même manière. Le père d’Honoré Balzac était originaire de l’Auvergne. — Nous devons la communication de ces actes authentiques à l’obligeance de M. Champoiseau, président honoraire de la société archéologique de Tours.