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et s’empoisonner après elle. Mme de Montarcy, qui n’aurait qu’un mot à dire pour détromper son mari et sauver sa vie, refuse obstinément de trahir le secret du roi. Elle préfère la mort au parjure. Le dialogue entre les deux époux est bien conduit, mais un peu long. Désespérant de fléchir l’obstination de sa femme, qui affirme vainement son innocence, M. de Montarcy s’empoisonne, et déjà les premières tortures commencent à l’assaillir, à lui déchirer les entrailles, lorsque survient Mme de Maintenon, qui révèle la faiblesse de la duchesse de Bourgogne et proclame la vertu immaculée de Mme de Montarcy.

Nous croyons avoir suffisamment démontré que toutes les parties de ce drame ne sont pas unies entre elles par un nœud bien serré, mais ce n’est pas le seul reproche que nous devions adresser à l’auteur. Si l’ouvrage qui vient d’être applaudi ne péchait que par la construction, nos inquiétudes se réduiraient à peu de chose. Malheureusement les personnages ne sont pas nouveaux, et le style est encore moins nouveau que les personnages. Maulevrier, quand il parle de la duchesse de Bourgogne, rappelle Hernani ; d’Aubigné, caché dans une armoire, rappelle encore Hernani. M. de Montarcy, s’adressant à ses aïeux, rappelle don Ruy de Silva ; le père de Mme de Montarcy rappelle le marquis de Nangis. Mme de Montarcy, au cinquième acte, rappelle doña Sol. En vérité, c’est trop de souvenirs, et j’espère que M. Bouilhet ne tardera pas à le comprendre.

Quant au style, la ressemblance est encore plus frappante. On dirait que le jeune poète imite le modèle qu’il a choisi sans le vouloir et sans le savoir ; l’imitation est poussée si loin, que les auditeurs, en fermant les yeux, pourraient croire que la pièce nouvelle est de M. Victor Hugo. Pour justifier une pareille méprise, il faut sans doute posséder un vrai, talent : aussi je n’hésite pas à dire que M. Bouilhet a fait preuve d’une habileté singulière ; mais ses plus belles périodes, ses images les plus heureuses n’ont pas de caractère personnel et ne lui appartiennent pas. Il n’a rien pillé, je me hâte de le dire, et pourtant dans ce drame, dont les qualités lyriques ne peuvent être contestées, il n’y a pas une page qui soit complètement nouvelle. Les applaudissemens, que M. Bouilhet le sache bien, sont des applaudissemens de souvenir. Tous ceux qui aiment Hernani et Marion Delorme, Ruy-Blas et les Burgraves sont heureux de retrouver ce qu’ils aiment, et témoignent leur joie par des battemens de mains. L’auteur de Madame de Montarcy ne doit pas prendre pour lui les applaudissemens qui ont frappé son oreille ; c’est à Victor Hugo que ces applaudissemens s’adressent, et non au poète nouveau. Je ne voudrais pas troubler l’enivrement d’un premier succès ; ce serait un plaisir cruel. Si je parle ainsi, c’est que M. Bouilhet me paraît appelé à des travaux plus sérieux et d’une nature personnelle. Nous savons maintenant qu’il peut dire tout ce qu’il veut dire. S’il veut marquer sa place dans la poésie contemporaine et la garder, il doit s’évertuer à dire des choses nouvelles.

Le succès de Madame de Montarcy, qui n’a pas rencontré d’opposition, oblige à reprendre une question qui semblait épuisée depuis longtemps, le rôle de la poésie lyrique au théâtre. Je comprends sans peine qu’un personnage livré à lui-même, dégagé de tout interlocuteur, parle tantôt sur le ton de l’élégie, tantôt sur le ton de l’ode. Les plus grands maîtres du théâtre