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Maulevrier, occupent souvent la scène ; mais ce n’est pas sur eux que se porte l’intérêt. Mme de Montarcy, qui donne son nom à la pièce, n’appartient pas à l’histoire. C’est un personnage de pure invention, comme son mari. Avant de nous prononcer sur le mérite de la fable dramatique imaginée par l’auteur, il s’agit donc de savoir si les rôles attribués aux acteurs réels sont d’accord avec les récits du passé, et si les acteurs fictifs se meuvent librement, naturellement, dans le milieu où l’auteur les a placés. Il est toujours dangereux, chacun le sait, de mettre en scène un personnage qui tient une grande place dans l’histoire, quand on ne veut pas lui donner un rôle important. M. Bouilhet, je suis forcé de l’avouer, n’a pas complètement évité ce danger. Dans Madame de Montarcy, Louis XIV ne manque pas de vérité. Hautain, égoïste, il paraît croire sincèrement que l’état tout entier se résume en lui ; mais il n’est pas le centre de l’action, et c’est un grave inconvénient. On peut même dire qu’il est chargé d’un rôle secondaire. Pour l’importance qui lui est attribuée par le poète, il parle trop souvent ; pour l’importance que lui donne l’histoire, il n’agit pas assez puissamment sur les personnages qui l’entourent.

Mme de Maintenon soulève à peu près la même objection : elle tient une si grande place dans les dernières années du règne de Louis XIV, qu’on ne la voit pas sans étonnement reléguée au second plan. Je m’empresse de reconnaître que M. Bouilhet a dessiné cette figure très habilement. La veuve de Scarron, devenue maîtresse du premier trône de l’Europe, reine par l’intelligence, puisqu’elle gouverne l’esprit du roi, sent pourtant que le trône ne lui appartient pas. Son mariage clandestin ne la prémunit pas contre les caprices et les dangers de l’avenir. Femme d’un monarque absolu, elle ne porte pas la couronne. L’auteur a très bien compris et très bien rendu ce caractère singulier, pour qui le pouvoir avait plus d’attrait que la tendresse. Malheureusement Mme de Maintenon n’a pas un rôle égal à son importance historique. — La duchesse de Bourgogne est dessinée avec une grâce touchante. Maulevrier, animé d’une passion ardente, nous intéresse d’autant plus facilement, que ses désirs sont dégagés de toute ambition. Ce qu’il aime dans la duchesse de Bourgogne, c’est la jeunesse et la beauté : les rêves de puissance ne souillent pas les rêves d’amour. — L’insouciance et l’étourderie de d’Aubigné sont tracées d’une main hardie. — Mme de Montarcy n’aime que son mari. Cette condition, excellente dans la vie réelle, ne peut devenir un élément dramatique tant que le bonheur du mari n’est pas menacé. Or Mme de Montarcy, en acceptant la surveillance de la duchesse de Bourgogne, excite sans le vouloir, sans le savoir, la jalousie du seul homme qu’elle aime. Chargée à la cour d’un rôle ingrat et difficile, elle passe aux yeux des courtisans pour une nouvelle favorite. Les apparences la condamnent, et la pureté de son cœur, qui l’absout devant le ciel, ne la justifie pas devant son mari, car elle a juré de ne pas trahir la duchesse, et sa discrétion obstinée peut être prise pour un aveu. Dans le domaine poétique, cette situation n’a rien qui doive nous étonner. En est-il de même dans le domaine historique ? Pour résoudre clairement cette dernière question, il convient, je crois, de la diviser. À la cour de Louis XIV, la fidélité conjugale n’était pas une vertu commune ; mais le dévouement superstitieux à la personne du roi faisait partie de la foi politique. Il n’y a donc rien qui blesse la vraisemblance