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stituer en corps public. Malheureusement il n’est pas toujours facile de faire éclore des talens. On ne communique pas la supériorité aux intelligences vulgaires, qui sont toujours les plus faciles à conquérir ; on ne fait souvent, sans le vouloir, que donner une couleur aux esprits qui restent par goût, par habitude d’indépendance, en dehors de ces combinaisons.

Il y eut un temps, et ce temps compte parmi les plus glorieux, où il y eut deux littératures en France. L’une était une littérature officielle ; certes les encouragemens et les récompenses ne lui manquaient pas, non plus que les règles de conduite et les motifs d’inspiration. Napoléon, avec ce goût naturel du génie pour les grandes choses, voulait avoir ses poètes ; il voulait même avoir ses historiens, et il dictait des notes impérieuses pour diriger l’écrivain dans son travail, pour lui prescrire ses jugemens historiques. Qu’est-il resté de cette tentative ? Il n’est resté qu’un nom qui est le symbole de l’effacement et de la stérilité, celui de littérature de l’empire. Ce n’est pas que Napoléon eût auprès de César ce désavantage « d’avoir violé, méconnu, brutalisé l’intelligence, » comme le disait un jour M. Sainte-Beuve ; non, c’est que son entreprise était impossible. Par une coïncidence remarquable, il y avait au même instant une autre littérature que l’empereur n’eût point admise, et qui fait pourtant l’éclat intellectuel de l’empire : c’est celle de Chateaubriand et de Mme de Staël. Ducis, de son côté, montrait ironiquement à Napoléon les oiseaux sauvages, qui traversaient l’air. — C’est qu’en effet il y a toujours deux littératures possibles : l’une sert une époque en l’honorant, même dans son indépendance ; l’autre se sert de l’époque, si l’on nous passe le terme, ou si elle la sert, c’est sans la fortifier et sans lui donner aucun lustre. Rien ne prouve mieux combien ces sortes d’initiatives intellectuelles sont peu dans la mission des pouvoirs publics ; mais ce qui est vrai aussi, c’est qu’il peut y avoir des activités inquiètes, des vanités ou des intérêts qui aiment à se servir du nom de l’état, en le compromettant dans leurs entreprises. Ce ne sont pas d’habitude des esprits éminens, on le conçoit, ce sont des esprits à la recherche d’un moyen de succès. On s’est servi beaucoup de ce mot de mouvement littéraire ; ces esprits ont en réserve au besoin un mouvement littéraire tout prêt, et, comme gage de l’avenir, ils offrent leur médiocrité. Avec une perspicacité plus injurieuse cent fois que toutes les critiques, ils excellent à saisir des allusions, à les supposer même souvent, et leur zèle dangereux va jusqu’à montrer dans l’indépendance une hostilité. Leur plus grand succès serait de réduire des voix écoutées à se taire. Nous voyons bien ce qu’ils gagneraient, car enfin le public, ne pouvant juger par comparaison, et n’entendant que leur monologue, s’accoutumerait peut-être à les considérer comme les véritables organes d’une littérature ; mais que gagnerait l’état à ce silence ? L’état n’est-il point au contraire appelé par sa nature à observer une large et bienveillante neutralité au milieu de toutes les manifestations légitimes de la pensée ? Il ne dirige ni ne discipline les lettres, il leur laisse le champ libre.

CH. DE MAZADE.




LA DIÈTE SUÉDOISE ET LE ROI OSCAR

Quand nous exprimions naguère dans la Revue notre conviction profonde que la conclusion de l’alliance entre les puissances occidentales et