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combinaison politique de ce temps, l’alliance entre la France et l’Angleterre. La seule affaire importante est de savoir si le principe de ces dissidences est de nature à affecter l’union des deux pays, si ces alternatives qu’on a remarquées peuvent dépasser la mesure d’indépendance mutuelle que les deux gouvernemens doivent nécessairement conserver dans leur politique.

Cette question de l’alliance anglo-française est si bien l’affaire du jour, qu’elle est entrée dans toutes les polémiques et dans tous les débats. Tant qu’elle reste sur le terrain des délibérations des cabinets, elle est d’une solution facile sans doute. Les gouvernemens ne se sont pas entendus d’abord sur quelques points relatifs à l’exécution du traité de Paris, et ils ont pris une attitude assez différente ; ils se sont rapprochés depuis : c’est ce qui arrivera toujours quand les deux pays, s’élevant au-dessus de rivalités secondaires, ne consulteront que leurs grands intérêts et les devoirs supérieurs de leur position dans le monde. Le résultat est ici la chose essentielle, et un accord définitif entre les deux gouvernemens parait être redevenu plus que probable. Il n’est pas moins vrai que les journaux anglais auront contribué d’une étrange manière à ce résultat, et qu’ils emploient encore des façons particulières pour le rendre durable. Les journaux anglais, on ne l’ignore pas, jouissent d’une extrême liberté, et en même temps ils ont une inépuisable faculté d’évolution. Hier ils parlaient de la question de Naples comme d’une pointe d’épée qu’ils voulaient enfoncer au cœur de l’Autriche, aujourd’hui ils rudoieront M. Kossuth, qui tient de mauvais discours à Manchester contre la maison de Habsbourg, et ils n’éprouveront aucune surprise si le ministre anglais à Vienne, sir Hamilton Seymour, accompagne, comme on le dit, l’empereur François-Joseph dans le voyage qu’il va faire à Venise et à Milan. Il n’est point jusqu’au Piémont qui n’ait été quelque peu abandonné pour l’hospitalité qu’il donne à Nice à l’impératrice-mère de Russie. Quant à la France, la presse de Londres s’est vigoureusement employée depuis quelques jours à lui inculquer les principes de l’alliance. Cela tient à l’usage de tout bon Anglais de ne voir qu’une seule chose au monde, l’intérêt britannique, de ne ressentir qu’une passion, la passion de la grandeur britannique. Tant qu’on sera d’accord avec cet intérêt et avec cette passion, les journaux anglais ne marchanderont pas la louange et le dithyrambe, ils y mettront même un certain luxe ; si on s’arrête un instant, si on refuse d’aller jusqu’au bout, alors la guerre recommence, et le moindre désaccord est signalé comme un abandon de la grande alliance. Que la Perse envoie un ministre à Paris au moment où une armée persane fait le siège d’Hérat, qui inquiète la puissance anglaise dans l’Inde, les journaux britanniques voient presque une trahison dans cette mission, et ils rendent le gouvernement français responsable des mauvais procédés du shah vis-à-vis de l’Angleterre, comme aussi des conséquences funestes qui en pourront résulter. Que la France ait des relations amicales avec la Russie, et aussitôt on recommence un cours d’histoire, on fait passer sous nos yeux les princesses russes voyageant pour capter l’Allemagne, la restauration disparaissant parmi nous, le roi Louis-Philippe proscrit pour avoir eu un moment la pensée d’un rapprochement avec la Russie et avoir méconnu l’alliance anglaise. Les journaux de Londres n’ont rien épargné, et de peur que la France ne l’ignore, l’un d’eux a fini même par un hymne à la suprématie