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Si tels sont aujourd’hui les sentimens des magistrats du nord, quels sont ceux du clergé, si puissant encore dans la Nouvelle-Angleterre ? Le journal le plus influent et le plus répandu de l’église presbytérienne, après avoir fait à ses coreligionnaires un devoir de conscience de voter pour M. Fremont, sans se préoccuper des conséquences possibles de sa nomination, gourmandait en ces termes les timides et les tièdes :


« Nous ne sommes pas surpris que les hommes timides qui redoutent un conflit, ou qui n’ont pas confiance dans la force du lien national qui nous unit, s’effraient et pâlissent aujourd’hui. Nous ne sommes pas surpris non plus des demi-moyens et des échappatoires auxquels on a recours pour différer de quelques jours le combat à mort qui mettra nos principes à une si terrible épreuve, et qui tranchera la question de savoir qui, de l’esclavage ou de la liberté, deviendra l’influence suprême et le pouvoir dirigeant des destinées nationales. C’est une lutte sérieuse, grosse d’orages, fatale et décisive, qui nous menace depuis la naissance de notre gouvernement, qui met en jeu notre existence politique, mais qui, une fois engagée, ne peut plus être évitée jusqu’à ce qu’elle soit décidée. Depuis longues années, dans toutes les sphères et sous toutes les formes, on l’a vue se préparer. Elle s’est étendue à tout : religion, littérature, mœurs sociales, politique, commerce, législation, elle a tout envahi, tout dirigé, tout modifié. Elle est la préoccupation constante et souveraine, le souci dominant de notre pays. Que l’issue en soit favorable pu funeste, l’heure du conflit suprême est venue, et nous ne pouvons pas plus en éviter la responsabilité, le danger et les conséquences, que nous ne pouvons échapper à la providence de Dieu qui nous appelle au combat. Si la question n’est pas tranchée par l’élection actuelle, elle reparaîtra sans cesse, comme l’ombre de Banquo, jusqu’à ce que la politique de notre pays soit fixée, jusqu’à ce qu’on ait décidé une fois pour toutes quel génie inspirera et guidera la république, celui de l’esclavage ou celui de la liberté ? »


Quant à la pensée qui anime les masses populaires, interrogeons Mme Beecher Stowe, dont les livres ont été lus si avidement dans tout le nord, et ont exercé une influence si considérable et si manifeste. Voici comment se termine la préface de Dred, datée d’août 1856[1] :


« N’accusons pas les états libres de lâcheté ni d’égoïsme ; sachons faire la part de cette généreuse crédulité qui se refusait à juger complètement mal de nos frères, et de cette lenteur à s’irriter qui est le signe, caractéristique de ceux à qui l’on a appris à se maîtriser eux-mêmes. Si les hommes du nord n’ont pas encore vengé l’insulte faite à leur sénateur, la violation de la liberté du scrutin, l’incendie de leurs villes, le meurtre de leurs frères et de leurs fils, cela ne signifie, pas qu’ils n’ont point ressenti ces outrages. Ce fait montre simplement la force de cette éducation pleine de respect pour

  1. Voyez sur Dred la Revue du 1er novembre.