Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/670

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’esclavage « un délit punissable de deux années de travaux forcés, la chaîne au pied, sur les grand’routes. » Les partisans de l’esclavage voulurent disperser par la force la législature élue à Topeka ; les free-soilers les accueillirent à coups de fusil. Le nouveau gouverneur, M. William Shannon, après avoir reconnu comme légalement constituée la législature nommée par les Missouriens, réclama le concours, des forces fédérales pour dompter une opposition qu’il qualifiait de rébellion. En réalité, la guerre civile venait d’éclater dans le Kansas.

Quand les événemens du Kansas furent connus dans le nord, les états libres, firent entendre un même cri d’indignation ; tous se sentaient également atteints. Ce n’était pas assez pour le sud de fouler aux pieds ce compromis de 1821, proposé par lui et accepté à regret par le nord, et qui, pendant plus de trente ans, avait été, regardé comme un pacte inviolable pour les deux sections de l’Union ; voici qu’il opprimait la liberté des citoyens et qu’il entreprenait une guerre de conquête sur le territoire même de la confédération. Pour s’emparer du Texas, on n’avait du moins fait la guerre qu’à des étrangers, et un reflet de gloire avait voilé ce que la cause pour laquelle on combattait avait d’inique et de honteux ; pour conquérir le Kansas, c’était le sang américain qu’on répandait à flots par des mains américaines. Où s’arrêterait donc le sud, s’il lui était permis d’imposer l’esclavage par la force aux populations qui le repoussaient, et pourquoi reculerait-il devant l’invasion de l’Illinois ou de l’Iowa plus que devant celle du Kansas ? Maintenant que le sud, les armes à la main, avait franchi la limite que lui imposaient et la nature, et des engagemens solennels, et le respect des lois de l’Union, qui pourrait mettre un terme à ses empiétemens ? Qui l’empêcherait d’arriver d’usurpation en usurpation jusqu’aux grands lacs, et d’interdire à la colonisation libre les plaines de l’extrême ouest, expressément réservées pour elle le jour où elle avait renoncé à la vallée inférieure du Mississipi ? On s’adressait à l’industrie et aux capitaux du nord pour construire la grande voie ferrée du Pacifique, qui devait relier entre eux les deux océans : était-ce par cette route que l’esclavage comptait étendre ses conquêtes sur la liberté ? Déjà l’esclavage couvrait un espace plus étendu que celui qui était occupé par les états libres[1] ; la superficie des territoires encore à coloniser était supérieure à celle des trente et un états existans ; si tous ces territoires étaient dévolus à l’esclavage par le droit de la force, la liberté deviendrait l’exception dans cette république des Washington et des Franklin, et alors se trouverait pleinement justifiée cette audacieuse déclaration d’un

  1. La superficie des états à esclaves est de 857,508 milles carrés, celle des états libres, de 612,500 : en tout 1,464,105. La superficie des territoires non encore colonisés est de 1,497,561 milles carrés.