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de côté de pareils préjugés, aujourd’hui que vos droits et votre propriété sont menacés. Je vous donne à tous, du premier au dernier, le conseil d’envahir tous les districts électoraux du Kansas en dépit de Reeder et de ses vils mirmidons, et de voter à la pointe du couteau et le pistolet en main. Ne faites pas et ne recevez pas quartier : voilà la vraie conduite. C’est assez que l’intérêt de l’esclavage l’exige ; c’est là l’arrêt suprême. Quel droit a le gouverneur Reeder de commander à des Missouriens dans le Kansas ? Il faut fouler aux pieds sa proclamation et le serment qu’il exige. C’est votre intérêt de le faire. Rappelez-vous que l’esclavage est établi partout où il n’est pas interdit. »


Les conseils de Stringfellow furent suivis à la lettre. Lorsqu’au jour de l’élection les habitans du Kansas se présentèrent pour voter, ils trouvèrent dans tous les districts les bureaux de vote entourés par des bandes armées qui arrêtaient chaque électeur au passage, et ne laissaient arriver jusqu’à l’urne électorale que les partisans de l’esclavage. M. Atchison ne rougit pas de diriger en personne l’exécution de ce honteux complot : il fit plus, il s’en vanta publiquement en des termes d’un incroyable cynisme. Répondant à ceux qui s’étaient permis de critiquer ses hauts faits, il s’exprima ainsi :


« Eh bien ! après ? Pourquoi donc avait-on réuni les électeurs, et leur demandait-on d’élire une législature chargée d’organiser le territoire ? Que vous avais-je conseillé de faire ? N’était-ce pas d’aller trouver ces gens-là sur leur propre terrain et de les battre encore une fois à leur propre jeu ? Il faisait froid, le temps était affreux, je n’en passai pas moins la frontière bien accompagné. Mon but, en me rendant au Kansas, n’était point de voter moi-même. Je n’avais pas le droit de voter, ou il m’aurait fallu perdre mes droits de citoyen dans le Missouri. Mon but n’était donc point de voter, mais de régler une contestation entre les candidats. Les abolitionistes du nord ont dit et ont même publié à l’étranger qu’Atchison était là le couteau-poignard et le pistolet au poing. Par Dieu ! cela est vrai. Je ne suis jamais entré dans le Kansas, je n’ai pas l’intention d’y entrer jamais sans être préparé à la rencontre de pareils animaux. »


Le résultat de telles élections était facile à prévoir. Un journal du Missouri put annoncer à ses lecteurs « qu’il n’y aurait pas dans la législature du Kansas un seul député opposé à l’esclavage, que le coup de balai avait été complet. » Cependant les habitans qu’on avait violemment écartés du scrutin refusèrent de reconnaître une législature sortie d’une pareille élection : ils se réunirent à Topeka, et procédèrent à de nouvelles opérations. Celles-ci étaient également illégales faute d’avoir eu lieu sur la convocation du gouverneur. Le Kansas eut ainsi deux législatures qui firent des lois chacune de son côté. La législature élue à Topeka interdit l’esclavage, la législature élue par l’influence d’Atchison et de Stringfellow non-seulement autorisa l’esclavage, mais fit de toute parole et de toute attaque contre