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former et on n’a formé en effet que deux états, l’Arkansas et la Floride ; quatre ou cinq états libres pouvaient aisément trouver place autour des grands lacs et sur la rive droite du Mississipi. Le parti démocratique comprit qu’il fallait à tout prix maintenir entre les deux fractions de l’Union cette balance qui lui était si profitable et pour cela ouvrir un débouché à l’esclavage. Aussitôt après l’élection à la présidence du général Jackson en 1828, des ouvertures furent faites mystérieusement au Mexique pour obtenir de lui la cession du Texas. Les menaces et les offres d’argent ayant également échoué, on sait comment les hommes du sud, avec la connivence du pouvoir fédéral, envahirent le Texas, le détachèrent du Mexique, et le transformèrent en un semblant de république indépendante, afin de le faire entrer dans la confédération. Nous ne reviendrons pas sur cette honteuse histoire[1]. En Avril 1844, tout était consommé ; M. Calhoun, le chef du parti de l’esclavage, devenu secrétaire d’état, signait au nom du président Taylor le traité qui annexait le Texas aux États-Unis, et le président soumettait immédiatement ce traité à la rectification du sénat.

Ainsi on avait, en pleine paix, envahi le territoire d’une république amie et alliée ; on avait attisé l’insurrection dans une province paisible, et, après avoir frauduleusement détaché cette province de la puissance à laquelle elle appartenait, on se l’appropriait uniquement pour satisfaire les convoitises et les nécessités politiques du sud ; on rétablissait de vive force l’esclavage dans un pays où il était aboli depuis quinze ans. Une pareille conduite émut profondément les hommes du nord et leur fit ouvrir les yeux. Les procédés qui avaient servi à mettre la main sur le Texas pouvaient être employés successivement à l’égard de toutes les provinces du Mexique, et il n’y avait pas de raison pour que l’esclavage, aboli par la race espagnole dans ces magnifiques contrées, n’y fût pas rétabli par les successeurs de Washington. Une pareille politique était pleine à la fois de honte et de danger. Les hommes les plus considérables du nord élevèrent la voix pour la flétrir, et les masses, jusqu’alors indifférentes, commencèrent à s’agiter. Channing publia coup sur coup ses admirables philippiques, où il comparait le Texas à la vigne de Naboth ; J. Quincy Adams et Daniel Webster firent retentir la Nouvelle-Angleterre de leurs éloquentes admonestations, et le parti whig se présenta à l’élection présidentielle avec les plus grandes chances de succès. Malheureusement les abolitionistes crurent le moment favorable pour une manifestation ; ils voulurent avoir leur candidat spécial. Les 140,000 voix qu’ils donnèrent à M. Birney suffirent pour faire

  1. On l’a exposée en détail dans la Revue des Deux Mondes du 15 juillet 1844.