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toute propagande abolitioniste. La constitution ne permettait pas au congrès d’abolir l’esclavage dans les états où il existait : à quoi servait-il d’alarmer et d’irriter une moitié de la confédération ? L’esclavage se consumait lui-même ; il fallait laisser au temps le soin d’accomplir l’œuvre de libération.

Cet optimisme des hommes du nord n’était pas sans quelque fondement, et il aurait peut-être été justifié par l’événement, si les choses avaient suivi leur cours régulier, si le sud n’avait pas jeté violemment la politique américaine hors de ses voies traditionnelles. Il semblait impossible que le sud sortît du cercle dans lequel l’enfermaient les états libres ; il y parvint pourtant, grâce à la complicité du parti démocratique. Ce parti, qui s’était toujours donné comme le défenseur des droits des états, comme l’adversaire de toute extension du pouvoir central, avait dès l’origine trouvé son principal point d’appui dans les états du sud. Ceux-ci, désireux de prévenir toute immixtion du nord dans la question de l’esclavage, se montraient systématiquement hostiles aux droits du congrès fédéral, parce que de là seulement pouvait venir le danger. En revanche, le parti fédéraliste et son héritier, le parti whig, avaient toujours eu dans les états du nord une prépondérance incontestée. Les démocrates se résignaient sans peine à de fréquentes défaites au nord, pourvu qu’avec l’appui du sud ils réussissent à se saisir du gouvernement. Comme les forces du nord et du sud se balançaient exactement dans le sénat, il suffisait aux démocrates de détacher du parti whig tantôt l’un, tant l’autre des états du centre ou de l’ouest pour déplacer la majorité ; ils n’avaient besoin que de faire élire un représentant sur quatre dans les états du nord pour disposer également de la majorité au sein de la seconde chambre. En échange de la prépondérance qu’ils assuraient au sud, ils obtenaient la disposition de tous les emplois fédéraux. Les faits sont là pour attester le succès de ces calculs sur quatorze élections présidentielles qui ont eu lieu dans ce siècle le parti whig n’a réussi que trois fois à faire élire son candidat. Ce jeu de bascule ne réussissait si bien, aux chefs du parti démocratique que grâce à l’égalité qui existait entre les forces du nord et du sud. Or, depuis l’adoption du compromis du Missouri[1], il était facile de prévoir que l’équilibre ne tarderait pas à être rompu au profit du nord. Du territoire attribué au sud par ce compromis, on ne pouvait

  1. En 1821, M. Clay proposa d’admettre le Missouri dans l’Union, mais à la condition qu’aucun état à esclaves ne pourrait désormais être formé au nord du 36e degré de latitude, hauteur moyenne du cours de l’Ohio, ce qui assurait à la colonisation libre les fertiles contrées comprises entre le 36e degré, les Montagnes-Rocheuses, le Canada et le Mississipi. Cette transaction votée par la coalition du parti démocratique avec les états du sud, est connue sous le nom de compromis du Missouri.