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la dissolution de l’Union soit inévitable. Nos appréhensions ne vont pas encore aussi loin : nous croyons qu’une trêve peut être le résultat de l’élection qui vient d’avoir lieu et d’un changement dans la marche du gouvernement ; mais si l’on peut espérer une trêve, il est impossible de compter sur l’apaisement complet des passions. Quoi que l’on fasse, la question de l’esclavage est désormais le seul terrain des luttes politiques ; elle renaîtra sans cesse, ramenant avec elle la même agitation et les mêmes désordres jusqu’au jour où elle aura été résolue.

Comment les choses en sont-elles arrivées à ce point ? quel concours de circonstances a pu faire d’une opinion de morale une opinion politique ? comment l’abolitionisme est-il devenu la pierre de touche des candidatures à la présidence, le cri de ralliement d’une moitié des États-Unis contre l’autre ? C’est la ce que nous voudrions raconter en remontant aux origines du mouvement abolitioniste.


I

L’opinion publique dans les états du nord de la confédération américaine a été de tout temps contraire à l’esclavage ; mais ce qu’on appelle l’abolitionisme, c’est-à-dire la propagande en vue d’arriver à la suppression de la servitude, n’a pris naissance que dans les trente dernières années, et doit son origine aux blessures faites au sentiment religieux. En 1830 et 1831, des conspirations d’esclaves furent découvertes en Virginie et dans les Carolines ; elles eurent pour conséquence non-seulement la mise à mort des coupables, mais une aggravation sensible dans le sort de tous les esclaves. De cette époque datent ces lois implacables qui ont interdit à l’esclave toute instruction et jusqu’à l’instruction religieuse, qui ont rendu les affranchissemens presque impossibles. Ces excès de rigueur, et surtout cette législation anti-chrétienne qui sacrifiait l’âme de l’esclave pour assurer le repos du maître, devaient provoquer une réaction : Garrison, Lovejoy et quelques autres levèrent le drapeau de l’abolitionisme. Ils suscitèrent d’effroyables tempêtes dans les états du sud, et il en coûta la vie au malheureux Lovejoy, à qui fut appliquée la loi de Lynch. Les états du sud se défendirent en interdisant l’entrée et la distribution sur leur territoire des journaux et des écrits abolitionistes, en soumettant les malles-postes à des perquisitions rigoureuses, enfin en condamnant au silence, sous peine de la ruine et de l’expulsion, quiconque professait des opinions contraires à l’esclavage. Du reste, l’abolitionisme faisait peu de progrès, même dans les états du nord : à Boston, à New-York, à Philadelphie, ses orateurs étaient hués et lapidés par la populace lorsqu’ils voulaient parler en public. Les presses