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bruts ; il a perdu celle d’une multitude d’objets pour l’exportation ; il a perdu la fabrication d’une quantité prodigieuse d’articles pour l’intérieur. Ce sont certes de grandes pertes, et pourtant il en est résulté un dommage plus grand encore : en conséquence de cette protection prétendue, toutes les industries ont été plus mal outillées, le travail national, sous toutes les formes, a été affaibli, mis à la gêne, dépouillé d’un de ses moyens d’action les plus indispensables.

Concluons : c’est par erreur que les prohibitionistes se donnent comme les protecteurs du travail national. Ce qu’ils protègent, c’est bien plutôt le travail étranger contre le travail français. À l’intérieur, s’il est des intérêts dont ils soient la sauvegarde, c’est d’une part celui des bénéficiaires d’un certain nombre de monopoles habilement et puissamment organisés, d’autre part celui des traînards de toutes les industries, je veux dire d’une catégorie particulière de manufacturiers qui se refusent à comprendre ce que pourtant les gouvernemens ne se sont pas lassés de leur déclarer, que lorsqu’on leur avait conféré l’avantage exorbitant de prélever un impôt sur leurs concitoyens, c’était pour un bref délai et à la condition qu’ils se servissent des produits de cette redevance pour se bien établir, se monter de bons appareils, et se mettre au niveau de ce qu’il l’avait de mieux dans le monde.

Mais ce que le parti prohibitioniste protège le moins, ce sont les populations ouvrières. Il a beau affecter de se parer des couleurs populaires ; il représente les intérêts du grand nombre à peu près comme les grands barons féodaux coalisés pour imposer leurs volontés à l’autorité royale sous Louis XI étaient la ligue du bien public, dont ils s’étaient arrogé le nom. Ce n’est pas sans dessein que je choisis ce terme de comparaison. La formule la plus propre à caractériser avec exactitude le système prohibitif est en effet celle-ci, que c’est l’acheminement vers un régime politique et social dont le vrai nom serait la féodalité industrielle. Ce serait en effet un ordre de choses où l’on verrait un certain nombre de grands industriels fortement coalisés non-seulement soumettre le public consommateur aux exigences de leur bon plaisir, mais encore exciter la passion des populations pour les mieux asservir, et dicter des lois au gouvernement, à la façon des grands vassaux d’il y a cinq ou six cents ans. Cette dernière tendance est manifeste depuis l’audacieuse levée de boucliers qui, en 1841, obligea le gouvernement français de renoncer au projet d’union douanière avec la Belgique, et je ne pense pas qu’on puisse soutenir, l’histoire à la main, qu’elle soit allée en s’affaiblissant.


Michel Chevalier.