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loi fondamentale du pays. Il leur paraît que le monopole d’une catégorie de fabricans qui trouveraient incommode de se tourmenter l’esprit pour égaler l’étranger, ou seulement pour résister à sa concurrence avec la protection d’un droit élevé, est quelque chose de sacré auquel on doit tout sacrifier, même les principes qui sont les garanties d’une société avancée. La répression de toute atteinte à un pareil monopole leur semble importer plus que la poursuite d’un forfait comme le parricide ou la tentative de bouleverser l’état ; telle est leur idée. Quant aux visites à corps, auxquelles est sujette la fille ou la femme de chacun de nous lorsqu’elle repasse la frontière, qu’est-ce que cela prouve, sinon que le régime prohibitioniste est l’héritier de certaines prérogatives un peu excessives, il est vrai, des seigneurs féodaux ? Mais c’est la démonstration du rang qu’occupe la prohibition parmi les institutions publiques de la France ; l’amour-propre des prohibitionistes en est flatté et empêche leur pudeur de s’en alarmer.

Puisque les prohibitionistes ont un si grand effroi de l’industrie étrangère, je prendrai la liberté de leur soumettre une idée. Les risques auxquels on s’expose en introduisant des marchandises étrangères malgré les lois prohibitives, l’ennui de vivre dans des transes continuelles, de toujours voir un douanier dans un acheteur, un dénonciateur dans un employé, un traître dans un concierge, tout cela n’empêche pas la contrebande, et les administrations publiques ont plusieurs fois déclaré, en France et autrefois en Angleterre, qu’elle avait un tarif d’environ 30 pour 100. Or une augmentation de prix de 30 pour 100, que trouve énorme un consommateur qui la paie, ne paraît aux prohibitionistes qui la reçoivent rien de plus qu’une protection pusillanime, et c’est pourquoi l’on a poussé tant de cris aigus lorsqu’il s’est agi, dans le projet de loi de l’été dernier, de remplacer la prohibition par des droits dont quelques-uns par mégarde n’étaient guère de plus de 30 pour 100. Mais il existe une loi fort bien inscrite au Bulletin des Lois, sous la date du dix-huitième jour du premier mois de l’an II, en vertu de laquelle toute personne qui fera importer, importera, introduira, vendra ou achètera, directement ou indirectement, des marchandises manufacturées ou fabriquées en Angleterre, sera punie de vingt ans de fers. À la bonne heure, voilà une répression efficace. Je ne sache pas que la loi du dix-huitième jour du premier mois de l’an II ait jamais été formellement rapportée. Les prohibitionistes seraient donc fondés à en revendiquer la mise en vigueur. Qu’il soit entendu que la peine de vingt ans de fers subsiste contre tout homme qui se sert de rasoirs anglais ou porte un gilet de piqué anglais, ou contre toute femme qui met des bas faits à Manchester ; ce sont des délits faciles à constater par des