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de ce qu’il peut l’avoir de trop vif dans l’étreinte de la concurrence étrangère. Il y a les droits protecteurs, qui ont leur efficacité apparemment. Quand le gouvernement a voulu abolir la prohibition par ce projet de loi que M. Mimerel a foudroyé, il proposait d’y substituer non pas la liberté commerciale, mais dès droits pour la plu part excessifs. En fait, la situation commerciale de la France n’eût pas été modifiée ; elle ne l’eût été qu’au point de vue des principes qui servent de fondement aux sociétés policées et civilisées. Les prohibitionistes tiennent au fait et se soucient fort peu des principes d’une civilisation avancée, car ils se jouent volontiers de la liberté du domicile, de la liberté individuelle et de la dignité humaine, puisque les visites domiciliaires, les visites à corps et la dénonciation soldée sont l’escorte obligée de la prohibition, qui est leur idole. Il semble donc qu’ils auraient dû en conscience remercier le gouvernement, au lieu de repousser son projet. Leurs adversaires naturels, les partisans de la liberté du commerce, leur donnaient un exemple qu’il eût été de bon goût de suivre. Suivant les amis de la liberté commerciale en effet, les droits protecteurs eux-mêmes, du moment surtout qu’ils sont élevés, ont de graves inconvéniens, et on ne saurait les admettre que sous la condition qu’ils soient modérés et décroissans, de manière à permettre toujours l’action stimulante de l’industrie étrangère sur les producteurs nationaux ; mais tout en trouvant fort exagérés la plupart des droits proposés, les partisans de la liberté du commerce ne combattaient pas le projet de loi. Ils se résignaient à attendre que la pratique de ces droits exorbitans eût éclairé les esprits rebelles. Pourquoi, du côté des protectionistes, n’a-t-on pas imité ces dispositions conciliantes ?

On dit : La concurrence étrangère causerait la baisse des prix ; cette baisse elle-même amènerait forcément la réduction des salaires ; donc il faut absolument, dans l’intérêt des populations, écarter la concurrence étrangère et fermer hermétiquement notre territoire aux produits étrangers ; donc il faut perpétuer la muraille de Chine en conservant à jamais la prohibition. Ce raisonnement pèche par la base. Il n’est pas exact de dire que la concurrence étrangère ferait nécessairement baisser le prix des marchandises manufacturées, de manière à en compromettre la production. Un grand nombre d’objets manufacturés sont produits chez nous à aussi bon marché qu’au dehors ; ce sont tous les articles que nous exportons. Ils représentent déjà près de 1,100 millions. Si l’auteur du manifeste prohibitioniste voulait bien se reporter au Tableau du Commerce de 1855, il t verrait, page XIII, que le montant de nos exportations en produits fabriqués a été de 1 milliard 80 millions : de la il l’aurait à défalquer ce qui va dans nos colonies, qui sont des marchés réservés ;