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la tête garantie par un simple fichu blanc, se promenait seule dans le jardin. J’allai immédiatement la rejoindre et l’abordai en lui souhaitant le bonjour.

— Je n’ai pas fermé l’œil de la nuit, me dit-elle ; j’ai mal à la tête, et c’est pour cela que je suis sortie si matin ; l’air me fera du bien.

— J’espère, lui dis-je, que vous n’attribuez plus votre malaise à la lecture d’hier ?

— Mais si vraiment ; je n’ai point l’habitude de ces sortes d’occupations. D’ailleurs il y a dans votre livre des choses qui me tourmentent l’esprit. Il me semble que ma tête est en feu, ajouta-t-elle en portant la main à son front.

— A merveille, repris-je, pourvu toutefois que cette insomnie et ce mal de tête ne vous dégoûtent point de ces lectures ! Voilà ce que je crains.

— Vraiment ? me répondit-elle en saisissant une branche de jasmin sauvage qui s’avançait sur l’allée. Dieu. sait !… Il me semble que lorsqu’on s’est une fois engagé dans cette voie, il est impossible de la quitter.

Cela dit, elle rejeta vivement la branche qu’elle tenait à la main. — Allons nous asseoir dans ce bosquet, continua-t-elle ; mais, je vous en prie, ne me reparlez plus de ce livre (elle paraissait craindre de prononcer le nom de Faust) tant que je n’y ramènerai pas la conversation.

Nous entrâmes dans le bosquet, et je m’y assis près d’elle. — Je ne vous parlerai plus de Faust, lui dis-je, mais permettez-moi de vous féliciter ; vraiment je vous porte envie.

— Comment cela ?

— Mais oui ; je me dis qu’avec une nature comme la vôtre vous allez goûter de bien douces jouissances ! Il y a bien d’autres poètes que Goethe ; vous pourrez lire Shakspeare, Schiller, et même notre Pouchkine. Ne faut-il pas aussi que vous fassiez connaissance avec lui ?

Pendant que je lui parlais ainsi, elle se taisait et promenait le pied de son ombrelle dans le sable de l’allée. Ah ! mon cher Semène Nikolaïevitch, si tu savais comme je la trouvai jolie en ce moment ! Elle était pâle, mais d’une pâleur qui avait quelque chose d’aérien. Le buste un peu incliné en avant, elle paraissait brisée par un combat intérieur, et pourtant une expression de pureté vraiment céleste était répandue sur toute sa personne. Je continuai, je parlai encore longtemps, puis je me tus et restai toujours la près d’elle en la regardant : elle continuait à tracer sur le sable avec son ombrelle des dessins qu’elle effaçait sans lever la tête ; mais tout à coup les pas