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— Merci ! me répondit-elle, et je la perdis de vue entièrement. Priemkof et l’Allemand m’avaient rejoint. — Savez-vous qu’il fait étouffant ? me dit le premier. Mais où donc est ma femme ?

— Je crois qu’elle est rentrée, lui répondis-je.

— L’heure du souper approche, murmura Priemkof, et il ajouta : — Vous êtes un lecteur admirable !

— Je crois, lui dis-je, que Faust a plu à Vera Nikolaïevna.

— Sans aucun doute !

Nous rentrâmes.

— Où est ta maîtresse ? demanda Priemkof à une camériste qui vint à notre rencontre.

— Elle vient de passer dans sa chambre à coucher.

Priemkof se dirigea de ce côté. Moi, j’allai me promener sur la terrasse avec Schimmel. L’Allemand leva les yeux vers le ciel, et se mit à lancer des observations sentencieuses sur le nombre des étoiles, en aspirant force prises de tabac. Pour moi, je gardais le silence. Il me semblait que les étoiles me regardaient d’un air sérieux. Au bout de cinq minutes environ, Priemkof parut et nous invita à passer dans la salle à manger. Vera Nikolaïevna y entra bientôt après. Nous prîmes places.

— Regardez donc Verotchka, me dit Priemkof. — Je jetai les yeux sur elle. — Ne lui trouvez-vous rien de particulier ? — Je remarquai effectivement que ses traits étaient altérés, mais je ne sais pourquoi je répondis à Priemkof : — Non, je ne remarque rien.

— Ne voyez-vous pas qu’elle a les yeux rouges ? continua Priemkof.

Je ne lui répondis pas.

— Figurez-vous qu’étant monté dans sa chambre, reprit le mari, je l’ai trouvée tout en larmes. Il y a bien longtemps que cela ne lui était arrivé. Tenez, la dernière fois qu’elle a pleuré, c’est, je. crois, lorsque nous avons perdu notre Sacha. Voilà ce que nous vaut votre Faust, ajouta-t-il en souriant.

— Vous voyez donc que j’avais raison, dis-je à Vera Nikolaïevna, lorsque je vous affirmais…

— Je ne m’y attendais pas, me dit-elle en m’interrompant ; mais Dieu sait si vous avez raison ! Peut-être ma mère me défendait-elle de lire ces sortes de livres précisément parce que…

Elle n’acheva point.

— Parce que ? repris-je ; continuez, je vous écoute.

— A quoi bon ? Je me fais déjà assez de reproches d’avoir pleuré. Au reste, nous reparlerons ensemble de tout cela : Il y a beaucoup de choses que je n’ai pas comprises.

— Pourquoi ne m’avez-vous donc pas interrompu ?

— J’ai bien compris toutes les paroles, mais…