— Et votre femme ne m’a pas oublié ? lui demandai-je.
— Non certainement, me répondit-il en hésitant un peu, quoi qu’elle fût alors bien jeune : c’était presque un enfant ; mais sa mère vous estimait beaucoup, et vous savez quelle vénération elle a pour sa mère.
Il me rappelait en ce moment les paroles de Mme Eltsof : « Vous ne convenez point à ma fille. » Et regardant Priemkof à la dérobée : — C’est donc toi, dis-je en moi-même, le mari qu’il lui fallait ?
Priemkof resta plusieurs heures chez moi. C’est un homme prévenant, agréable : il est modeste et paraît la bonté même, il est impossible de ne point l’aimer ; mais son esprit ne s’est point développé depuis notre séparation. J’irai très certainement le voir, peut-être même, dès demain. Je suis curieux de savoir ce que Vera Nikolaïevna est devenue tout ce temps.
Mais toi, malheureux, tu t’amuses probablement, à mes dépens, assis à ton bureau de directeur. Cependant je continuerai à t’écrire, et te ferai part de l’impression qu’elle produira sur moi. Adieu, et à bientôt une nouvelle lettre.
M…, 16 juin 1850.
Eh bien ! mon cher, je me suis rendu chez elle, je l’ai vue ; mais avant tout il faut que je te communique une circonstance singulière : tu peux ne point me croire si tu le veux, mais je te déclare qu’elle n’a changé en aucune manière ; sa figure et ses formes sont absolument les mêmes… Lorsqu’elle vint à ma rencontre, je faillis pousser un cri ; c’est encore la jeune fille de dix-sept ans que j’ai connue autrefois. Ses yeux seulement ne sont plus ceux d’une jeune fille ; mais je lui trouve toujours le même calme, la même simplicité ; sa voix n’a point changé, elle n’a pas une ride au front ; il semble vraiment qu’elle soit restée tout le temps ensevelie quelque part dans la neige. Pourtant elle a maintenant vingt-huit ans, elle a été mère de trois enfans… C’est incompréhensible ! Ne pense point d’ailleurs que j’exagère le portrait dans l’intention de l’embellir : au contraire cette étrange faculté de conservation ne me plaît nullement. Une femme de vingt-huit ans, épouse et mère, ne devrait point ressembler à une petite fille ; le mariage aurait dû la changer.
Vera m’a accueilli d’une façon très aimable, et Priemkof a paru ravi de me voir ; cet excellent homme semble possédé du besoin de s’attacher à quelqu’un. Leur maison est à la fois commode et bien tenue. Vera Nikolaïevna avait un costume de jeune fille ; elle était