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FAUST


RECIT EN NEUF LETTRES







Entsagen sollst du, sollst entsagen.
(Faust, première partie.)


Lettre première
Paul Alexandrovitch B… A Semène Nikolaievitch V…


Village de M…, 6 juin 1850.

Arrivé ici depuis trois jours, mon ami, je m’empresse de t’écrire suivant ma promesse. Il pleut depuis le matin ; impossible de sortir, d’ailleurs j’ai un extrême désir de causer avec toi. Me voilà de retour dans mon ancien gîte, que j’avais quitté — il est effrayant d’y songer ! — Il y a neuf ans. Que de choses se sont passées depuis ce temps ! Il me semble en vérité que je ne suis plus le même homme. Comment en douter ? Te rappelles-tu ce gothique petit miroir qui se trouve dans mon salon ? Il a appartenu à ma grand’mère, et tu te demandais souvent : « Qu’a-t-il vu Il y a cent ans ? » A peine avais-je mis le pied dans la maison, que je m’en suis approché ; mais je n’ai pu me défendre d’une émotion profonde en voyant combien j’étais vieilli. Au reste, tout a vieilli autour de moi. Mon humble logis, déjà bien vieux lors de mon départ, est maintenant dans le plus triste état, et je me demande si quelque jour il ne s’enfoncera pas sous le sol. Ma bonne Vassilievna, la sommelière (tu n’as sans doute point oublié Vassilievna et ses confitures), est d’une maigreur de squelette ; lors qu’elle m’a aperçu, elle n’a point eu la force de pousser une exclamation ni même de pleurer ; elle s’est mise à pousser des gémissemens étouffés, à tousser, et enfin elle est tombée tout évanouie sur