Page:Revue des Deux Mondes - 1856 - tome 6.djvu/570

Cette page a été validée par deux contributeurs.
566
revue des deux mondes.

Les Chinois sont épris de leurs porcelaines anciennes, ils aiment les raretés, ils aiment surtout celles qui sont devenues introuvables ; cette maladie est de tous les pays. Leur zèle surpasse même celui de nos amateurs, s’il est vrai qu’ils portent à leur bonnet ou à leur cou des tessons informes en guise de pierres précieuses. Ils paient des sommes à peine croyables les contrefaçons des pâtes célèbres. En effet, la finesse, les tons, la transparence, le craquelage de la porcelaine sont tout pour eux. Je doute que les Grecs fussent aussi prodigues, même par passion. S’ils l’étaient, c’est qu’une admirable composition signée de Sosias ou de Pamphée les avait captivés. Par là se dénote encore la différence profonde des deux peuples : l’un s’attache à l’industrie, c’est-à-dire à la matière ; l’autre à l’art, c’est-à-dire à la pensée. Les Chinois pensent peu devant leurs vases ornés de fleurs, de dragons, de paysages impossibles, de scènes banales ; souvent ces décorations sont dénuées de sens. Les Grecs trouvaient dans leurs monumens céramiques une source féconde de réflexions. Non-seulement ils avaient à deviner les sujets empruntés au monde infini de la mythologie, non-seulement le mérite de l’artiste commandait l’attention pour être discuté, mais sous le mythe se cachait souvent un symbole spirituel ou naïf, doux ou cruel, qui se rapportait aux principaux événemens de la vie. Chacun trouvait chez le potier un souvenir, un présent, une allusion aux choses qui le touchaient de plus près. La naissance d’un enfant, ses jeux, étaient représentés avec une poésie charmante ; son éducation dans le gymnase était retracée sous mille formes, tandis que l’autre face du vase lui proposait de glorieux modèles, Castor, Pollux, Hercule. Le vainqueur dans les concours publics trouvait l’image des triomphes les plus divers ennoblie encore par le rapprochement des luttes homériques ou la présence de Minerve. Le poète couronné se réjouissait d’acheter Bacchus entouré de son cortège, Apollon entouré des Muses. Le guerrier, de retour au foyer, contemplait en souriant les combats d’Ajax et d’Achille. La jeune fiancée rêvait au mariage que lui annonçait l’enlèvement d’Orythie, d’Europe ou d’Hélène. Les scènes d’initiation plaisaient à tous ceux qui avaient été admis aux grands mystères ; les malheurs d’Ulysse s’adressaient aux hardis navigateurs. Sur les vases destinés aux festins, les satyres et les bacchantes prenaient leurs ébats ; les boîtes à parfums présentaient aux femmes la tête de Vénus ou les détails gracieux de sa toilette. Les vases funéraires étaient en plus grand nombre : l’idée de la mort s’y déguisait sous les figures les plus propres à en adoucir l’amertume. Le trépas glorieux des héros était un motif familier, parce que la poésie effaçait par son prestige les tristesses de l’heure dernière. Tantôt Jupiter pesait dans la balance la destinée des mortels, tantôt l’Aurore emportait dans ses