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pas à la métaphysique, ce sont là des hypothèses pour expliquer et lier les phénomènes, mais la réalité en est incertaine. Le système admis aujourd’hui, bien qu’un peu plus vraisemblable que l’autre, est lui-même exposé à (des objections fondamentales. Ainsi l’on n’explique pas le phénomène de la nuit, c’est-à-dire de l’obscurité produite par un corps opaque. Découvrir les lois des phénomènes et non leur cause, voilà le but de la physique. Newton ne l’a guère oublié qu’en cette circonstance, et il s’en repentit bientôt. Hooke l’attaqua vivement et avec mauvaise foi, l’accusant tantôt de plagiat, tantôt d’erreur. Newton s’irrita, et il est triste pour sa mémoire qu’il ait exprimé souvent en particulier et dans ses lettres familières une opinion opposée à celle qu’il soutenait en public. Dans l’intimité, il reconnaissait les talens et l’instruction de Hooke, et, pour ne pas avoir tort, il le traitait dans ses écrits avec une violence, un dédain, une inimitié qu’Oldenburg, l’ennemi personnel de Hooke, ne manquait jamais d’augmenter. C’est la première fois qu’apparurent dans les lettres de Newton cette vivacité de polémique, cette ténacité, cette ardeur du triomphe où la bonne foi ne domine pas toujours, et que la violence du langage polémique, introduite par les savans des XVe et XVIe siècles et longtemps maintenue dans le monde pensant, peut expliquer, mais n’excuse point. Newton avait dans le caractère deux tendances diverses, et qui paraissent contradictoires : il ne faisait pas grand cas de ses découvertes, ne tenait pas à les publier, et aurait peut-être consenti à mener une vie obscure, occupée, à jouir seul de ses travaux ; mais dès qu’une parole de lui était imprimée, il la défendait avec ardeur, il tenait à démontrer qu’elle n’avait été écrite par personne avant lui, qu’elle était vraie et originale. Il était à la fois modeste et irritable : il lui importait peu d’acquérir une grande réputation ; mais du moment qu’il se livrait au public, il voulait que cette réputation fût pure et incontestée. Ce n’était pas le désir de la gloire, c’était la passion de la justice.

La querelle de Newton avec Hooke dura plusieurs années, avec des alternatives diverses d’ardeur et de découragement. D’autres causes d’ailleurs venaient accroître les chagrins du savant et les difficultés de sa position : il était pauvre. Un jour même il voulut donner sa démission de membre de la Société royale, ne pouvant, disait-il, payer la cotisation, qui était de deux livres pour l’entrée et d’un shilling par semaine. La société l’en dispensa, et bientôt une ordonnance du roi lui permit de toucher les appointemens de sa place de professeur lucasien, sans qu’il fût obligé d’entrer dans les ordres. Il put donc continuer à faire partie de la société et assister à ses séances. Remarquons en passant ce défaut dans la constitution de la Société royale de Londres : la libre Angleterre est peu libérale pour les savans, puisque Newton, faute d’argent, fut sur le point