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mais comme le nombre des candidats désignés par leurs antécédens n’était pas en rapport avec le nombre des travaux, elle a dû jeter les yeux sur des peintres qui n’avaient jamais quitté la France, et rien pour les intelligences ordinaires ne saurait remplacer la vue des modèles. La galerie du Louvre, il est vrai, dans la travée italienne, nous offre le génie de la peinture dans sa plus haute expression; la grande Sainte-Famille de Raphaël acquise par François Ier, la Joconde de Léonard, la Déposition de croix de Titien, la Charité d’André del Sarto, malgré les injures qu’elle a reçues de l’impéritie et de la témérité des restaurateurs, nous permettent de mesurer la puissance de l’art humain en lutte avec la nature; mais la vue de ces admirables ouvrages ne saurait remplacer la vue des peintures murales. Les chambres du Vatican n’offrent pas le même aspect que la grande Sainte-Famille de 1518. La Vierge de Sant’Onofrio est d’un style nouveau pour ceux mêmes qui connaissent la Joconde. Le Saint Christophe du palais ducal de Venise étonne même après la Déposition de croix, que je viens de rappeler. Quant à la Charité d’André del Sarto, dont les précieux débris ravissent tous les yeux, elle ne dispense pas les peintres studieux de contempler la Vierge au Sac et la Vie de saint Philippe Benizzi à l’Annunziata de Florence. Une composition exécutée pour un lieu déterminé n’est pas soumise aux mêmes conditions qu’un tableau. Si la peinture à l’huile offre plus de ressources que la peinture à fresque ou la peinture à la cire, si elle se prête mieux à l’expression de la forme, en revanche la peinture à fresque et la peinture à la cire se recommandent par une plus grande sérénité. Pour concevoir une juste idée de ces deux genres, la pénétration ne suffit pas; le témoignage des yeux doit s’ajouter au travail de l’intelligence. Les pensionnaires de l’Académie de France à Rome sont très favorablement placés pour connaître les conditions de la peinture murale. Malheureusement le programme des études académiques ne leur impose pas l’obligation de traiter pendant la dernière année de leur séjour en Italie des sujets d’une nature spéciale, qui conviennent à la décoration des chapelles plutôt qu’à la décoration des galeries. Ils copient, il est vrai, quelques fragmens de la Sixtine, des chambres du Vatican ou de la Farnésine; mais cela ne suffit pas pour les former à la peinture murale, et quand cette tâche leur est proposée, malgré les beaux modèles qu’ils ont eus devant les yeux, ils sont souvent tout aussi empêchés que les peintres condamnés à l’ignorance de l’Italie par la médiocrité de leur condition.

Sans doute les intelligences supérieures peuvent se passer des secours que j’indique. Eustache Lesueur n’avait jamais visité l’Italie, et cependant il a traité la Vie de saint Bruno de manière à contenter