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Ce qu’il y a de plaisant, c’est qu’il veut absolument que nous lisions comme lui. Après avoir fait un réquisitoire contre Dante révolutionnaire et socialiste, il a fait une traduction de la Divine Comédie (et quelle traduction, bon Dieu !) avec des notes qui travestissent chaque scène. Ce n’était pas encore assez : il a composé un dictionnaire de Dante où tous les mots employés par le poète prennent un sens diabolique. L’auteur dit le pain des anges ; lisez la doctrine sectaire. Il dit Béatrice ; lisez la foi sectaire. Il dit le souverain bien ; lisez le Dieu sectaire. À l’aide de ce léger changement, vous comprendrez la Divine Comédie. Dante décrit un arbre paré de feuilles et de fleurs, c’est un Albigeois ; un arbre mort, c’est un catholique. Il peint une forêt, il parle de l’hiver, du froid, de la nuit, de la mort ; autant d’injures contre le catholicisme. Il cite le nom du seigneur de Vérone, Can Grande della Scala ; vous croyez qu’il parle de son ami et de son hôte ? Détrompez-vous ; il est question du khan des Tartares, le chef mystérieux des Albigeois et des francs-maçons orientaux. Tout est bon pour accabler le malheureux poète ; l’indignation de l’accusateur est armée de calembours. C’est un terrible homme que M. Aroux, et sachez que ce n’est là pour lui qu’un exercice d’essai. Une fois Dante exécuté, il pratiquera la même opération sur ses complices. Pétrarque, Boccace, Arioste, Tasse, Raphaël, Michel-Ange, sont déjà condamnés, et plus d’un écrivain ecclésiastique placé au rang des saints sera dépouillé de la céleste auréole. Aux menaces générales de M. Aroux et à certaine note de son livre, je crois comprendre que saint Bernard, atteint et convaincu d’avoir rédigé la règle des templiers, va subir de rudes assauts. La piété de M. Aroux est une piété fière qui ne veut pas être dupe. Sauve qui peut ! Je ne sais, en vérité, quelle renommée assez sainte résisterait à son système. Supplions ce grand catholique d’épargner au moins saint Matthieu, saint Marc, saint Luc, et saint Jean l’évangéliste.

Je n’aurais pas pris la peine de discuter l’ouvrage de M. Aroux, si je n’y avais vu un symptôme des déviations de la pensée catholique chez ceux-là même qui s’en font les champions. Depuis la révolution accomplie par Luther, il s’est introduit dans le catholicisme un singulier esprit de défiance. La franchise, la liberté de la foi, ce que Bossuet appelle si bien la grâce de l’ancien peuple semble avoir disparu de l’église. Écarté un instant par l’école cartésienne du XVIIe siècle, cet esprit pusillanime a bientôt repris le dessus ; c’est lui que nous voyons aujourd’hui proscrire toute pensée libre et propager le scepticisme en attaquant la raison. À entendre certains apologistes du XIXe siècle, il semble que le catholicisme soit un édifice ébranlé et qu’une parole trop hardie en ferait crouler les voûtes. La violence des prétendus défenseurs de l’église ne dissimule pas la pusillanimité de leur foi. Ajoutez à cela ce romantisme religieux qui