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Il n’a pas besoin d’expliquer sa pensée dans une page de commentaires. Les personnages sont connus d’avance. L’action où ils sont engagés est aussi claire pour les gens du monde que pour les érudits. L’intelligence, au lieu de chercher à deviner l’intention qui anime les acteurs, s’attache tout entière aux traits du visage, aux plis des draperies, aux ondulations de l’horizon, aux accidens du paysage. La vie des saints offre-t-elle cet avantage ? La plupart des légendes connues dans une paroisse sont ignorées dans la paroisse voisine, et le plus grand nombre des spectateurs ne sait pas ce qu’il voit quand les sujets qui décorent une chapelle ne sont pas tirés de l’Ancien-Testament ou de l’Évangile. Je n’ai pas besoin d’ajouter que ce reproche ne s’adresse pas aux personnages qui ont joué un rôle important dans l’histoire de l’église. Quand Dominiquin nous retrace la vie de saint André ou de sainte Cécile, il n’a pas à redouter l’embarras des spectateurs ; quand Michel-Ange figure la conversion du saint Paul sur le chemin de Damas, ou Titien les miracles de saint Antoine de Padoue, l’attention n’est pas remplacée par une curiosité inquiète.

Je sais les objections soulevées par les sujets de l’Écriture sainte. On dit que les maîtres les ont épuisés, et qu’il est imprudent de lutter avec eux : j’avoue que cet argument n’a pas à mes yeux une grande importance. On dit encore que les récits de Moïse et de saint Jean sont trop connus et n’offrent plus d’intérêt qu’aux âmes pieuses : le second argument ne me semble guère plus effrayant que le premier. Les maîtres n’ont épuisé ni les sujets bibliques, ni les sujets évangéliques, et d’ailleurs il suffit de consulter les grandes écoles de l’Italie, de la Flandre et de la Hollande, pour voir comment la même période, interprétée par Raphaël, par Léonard, par Rubens ou Rembrandt, s’est renouvelée, transformée, et combien chacune de ses métamorphoses offre d’attrait, d’originalité. Le Christ en Croix de Fra-Giovanni, qui appelle tant de visiteurs au couvent de Saint-Marc à Florence, n’amoindrit pas le Christ en Croix du chef de l’école hollandaise. Rubens a traité avec un rare bonheur presque toutes les scènes déjà retracées par le pinceau italien. Il serait sans doute imprudent de toucher à la cène après le Vinci, à la transfiguration après le Sanzio, au jugement dernier après le Buonarroti ; mais toutes les autres pages de l’Écriture sainte peuvent être consultées sans témérité par les peintres de nos jours. Sans sortir d’Italie, on comprend toute la richesse des récits qu’elles nous présentent. Rome, Florence, Venise, Milan, Parme, Bologne, ont donné aux personnages de l’Ancien et du Nouveau-Testament des physionomies diverses sans blesser la tradition chrétienne. Pourquoi donc l’école française abandonnerait-elle comme un sol appauvri par des