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de Henri, n’est plus qu’un dogme abrogé dont personne ne se souvient. Un seul homme, au milieu de la transformation des esprits, s’associe aux rêves de l’empereur, — un homme qui, par toute une suite de déductions théologiques, comme Henri par un sentiment de chevalerie impériale, a reconstruit dans sa pensée la majestueuse unité du monde chrétien. Quel est cet homme ? Le proscrit de Florence. Henri de Luxembourg, c’est l’utopie de Dante qui prend un corps, c’est le rédempteur de l’Italie qu’il invoquait dans le Convito et le De Monarchia, c’est l’homme qu’il placera dans les plus radieuses gloires du paradis, et qu’il appellera le grand Henri, l’alto Arrigo.

Le chapitre où M. Wegele expose en détail tous ces faits est l’un des meilleurs de son livre. Qu’on interroge après cela les manifestes de Dante, ses exhortations à l’Italie, ses adresses à l’empereur, tous ces écrits impatiens qui ont si fort embarrassé ou indigné les commentateurs, tout s’explique et se justifie. Les erreurs de Dante ne sont plus des fautes contre le patriotisme, ce sont les rêves sublimes d’un illuminé. Son esprit peut se tromper, son caractère nous apparaît plus grand. Quels rêves ! quelle passion ! quelle éloquence ! Tout son cœur est en feu ; si vous ne connaissez pas les détails de cette période, vous ne connaissez pas Dante. D’abord il s’adresse à l’Italie tout entière pour lui révéler l’importance des événemens qui se préparent. On dirait un tribun, mais un tribun à la fois populaire et sacré. Il commence comme un hymne : « Ecco ora il tempo accettabile… il nuovo di comincia a spandere la sua luce. Levez-vous, rois et ducs, seigneuries et républiques ; sortez enfin de vos ténèbres. Le fiancé de l’Italie, la joie du siècle, la gloire du peuple, le césar héritier des césars vient au-devant de sa fiancée ! l’ordre éternel le veut ainsi. » Et le poète résume en traits rapides toute cette philosophie de l’histoire dont nous parlions tout à l’heure. La glorification de Rome et de son empire est le premier argument qu’il emploie en faveur de Henri de Luxembourg. Dante tout entier est là. Il est si confiant, qu’il voit déjà l’empereur s’accorder avec le pape pour établir enfin le règne de Dieu sur la terre. C’est le rêve de Henri, c’est aussi le rêve de Dante ; il l’exprime à la fin de sa lettre avec une candeur incomparable. Maintenant, que le rêve de l’empereur et du poète vienne se briser contre la réalité, que l’empereur, bien accueilli d’abord à Turin, entende gronder la colère des villes guelfes, qu’une émeute éclate à Milan, que Lodi, Crémone, Brescia, soulevées par les agens de Florence, se dressent tout armées pour arrêter cette marche triomphale, vous comprendrez la fureur de Dante. Florence se révolte contre les décrets de Dieu, elle brise cette grande unité de la monarchie italienne annoncée par Énée, préparée par les Scipions, célébrée par Virgile, consacrée par Jésus-Christ ! C’est le reproche qu’il lui adresse dans une lettre datée des rives de l’Arno, et