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différentes cours italiennes, le séjour qu’il fait alternativement chez des guelfes et des gibelins, tout s’explique, tout se comprend. L’unité de son inspiration une fois retrouvée, l’histoire de son âme n’a plus de secrets pour nous.

Cette dernière partie de la vie du poète, soigneusement étudiée par M. Fauriel et M. Kopisch, laissait peu de chose à faire à M. Wegele ; l’habile historien l’a néanmoins ajouté tout un chapitre qui mérite d’être signalé pour la nouveauté et l’importance des résultats. Lorsque Henri de Luxembourg descend en Italie et que Dante, par ses manifestes, l’excite à marcher contre Florence, tous les commentateurs italiens et ceux qui parmi nous se sont inspirés de leurs travaux se sentent saisis d’indignation et de douleur. L’esprit guelfe, au bout de cinq cents ans, semble se réveiller tout à coup chez de pacifiques érudits. « Lettre à jamais déplorable ! » s’écrie un éloquent écrivain, et, malgré son culte pour Dante, M. Ozanam verrait là une tache pour sa mémoire si quelques années après (1314) Dante n’eût effacé, dit-il, ces tristes pages en recommandant aux cardinaux le choix d’un cardinal italien. Est-ce bien là ce Dante que nous ont révélé les derniers travaux de la critique ? Quoi ! gibelin et guelfe tour à tour, Allemand aujourd’hui, Italien demain, il sera toujours le jouet de ses passions ! Un examen plus attentif aurait donné le sens exact de ces péripéties. Henri de Luxembourg joue un rôle considérable dans la vie de Dante, et on a peine à comprendre que tant de commentateurs aient négligé de placer cette singulière physionomie dans le jour qui lui convient. Dante et Henri, le poète et l’empereur, sont les deux derniers représentans d’une même idée. L’inspiration est chevaleresque chez l’un, théologique chez l’autre ; au fond, c’est le même système, et pour comprendre Alighieri et son époque, il est indispensable de confronter ces deux figures.

Qu’était-ce donc que Henri de Luxembourg ? Le saint-empire romain avait été frappé de mort vers le milieu du XIIIe siècle. Pouvoir à la fois réel et idéal, il avait besoin de la foi des peuples pour se maintenir ; vaincu par les armes et compromis aux yeux de la chrétienté par les violences de Frédéric II, il était tombé avec les empereurs souabes. On croyait impossible qu’un empereur eût jamais l’idée de repasser les Alpes ; Les gibelins n’avaient plus d’illusions à ce sujet, les guelfes n’avaient plus de craintes. Cette disparition de l’empereur fut pour ainsi dire proclamée solennellement par le pape Boniface VIII l’année même du grand jubilé. Un historien rapporte qu’un jour, en présence de la foule, il parut aux portes de Saint-Pierre, la couronne impériale sur la tête et précédé de deux gardes qui portaient devant lui deux épées nues ; le peuple fit silence, et le pape s’écria : « Vous voyez ces deux épées ; je suis le pape et je suis